La scène se déroule sur les étals d’un hypermarché ou d’un supermarché. A
moins qu’il ne s’agisse d’un marché de plein air. En ces premiers jours
de printemps, elle exhibe sa robe rouge, rutilante. Entre deux et
trois euros la barquette de 500 grammes, on se l’arrache et on frétille à
l’idée de n’en faire qu’une bouchée. Mais, le dessert venu, la promesse
se transforme en une matière pâteuse et gorgée d’eau, diffusant un
arôme indigent. La belle est une fraise d’Espagne – c’est son droit –
venue de la province de Huelva, où elle et ses congénères sont élevées à
la manière chimique. On pourrait explorer le rayon chantilly,
décortiquer les nuggets, palper un pseudo-camembert, briser le pain
industriel… Le goût n’en sortirait pas plus grandi.
De quel côté le responsable de ces rendez-vous ratés est-il à chercher ?
Avant tout du côté de l’industrie, dont le logiciel fonctionne
majoritairement au triptyque massification, compétitivité, praticité. La
rentabilité exigée par les actionnaires de ces méga-entreprises
conduisent leurs dirigeants à raisonner « marchés continentaux », comme
le font les industries automobile et pharmaceutique. En bout de chaîne,
les « grands » distributeurs n’exigent en définitive qu’une seule
chose : le prix, le prix, le prix. Dans leur esprit, le goût est réduit
au rôle de variable d’ajustement. Certes, ce diktat du prix trouve aussi
sa source au cœur des contradictions des consommateurs, qui ont
considérablement réduit l’effort consacré à se nourrir. Les enquêtes
d’opinion soulignent avec constance le souhait de moins dépenser pour
l’alimentation. Et le budget alimentaire des ménages stagne autour de 15% à 16% de notre consommation effective, contre 30% dans les années 1960.
Mais, si la photographie est décevante, une tendance se dessine : même
partis de peu, le recours croissant aux circuits courts et le
développement régulier du bio esquissent un mouvement prometteur. Aux
producteurs et aux transformateurs de changer de logiciel. Car dans
l’esprit des consommateurs, c’est certain, le goût a encore un avenir. —
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire