lundi 28 décembre 2015

Compte rendu blé decembre

Pour cette dernière rencontre 2015 , nous étions 12 les adhérents n° 5 (2), 14, 22, 94, 99, 101, 120, 121(2), 124(2). Elle a duré assez longtemps car tout le monde, à peu près , semblait prendre plaisir à discuter, ce qui n'a pas pour autant nui aux échanges - j'ai personnellement acquis des oeufs, bouquins, de la verveine et un châle, pour 12 personnes, pas mal! - ni aux agapes assez inventive s sur les tartines salées et , Noël oblige lsur les douceurs. Merci aux présents pour cette session, merci à tous ceux qui ont assisté aux divers rendez-vous de cette année, bonne fin d'année à tout le monde et à l'année prochaine. Lucette.

Demainlefilm

Demainlefilm en salle le 2 décembre

Ajouté le 22 Octobre 2015
Image - © DemainEt si montrer des solutions, raconter une histoire qui fait du bien, était la meilleure façon de résoudre les crises écologiques, économiques et sociales, que traversent nos pays ?
Affiche - © DemainSuite à la publication d’une étude qui annonce la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100, Cyril Dion et Mélanie Laurent partent avec une équipe de quatre personnes enquêter dans dix pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l’éviter.

Durant leur voyage, ils rencontrent les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation. En mettant bout à bout ces initiatives positives et concrètes qui fonctionnent déjà, ils commencent à voir émerger ce que pourrait être le monde de demain…

Le Marché Citoyen et son équipe sont partenaires de Demain depuis son lancement, avec une belle campagne de crowdfunding sur le site KissKissBankBank et une aventure web qui continue jusqu'au 2 décembre !

« L’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux »

« L’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux "

Suiv
 
Financeur des énergies fossiles, adepte des paradis fiscaux et… sponsor de la COP21. Pour dénoncer les choix de BNP Paribas, 300 personnes se sont réunies ce jeudi devant le siège de la banque.
Que font des palmiers et des crocodiles au pied de BNP Paribas ? Ils dénoncent les placements aux îles Caïmans. Sous ses airs de devinette pour enfants, la scène qui se jouait jeudi devant le siège d’une des principales banques de détail et d’investissement européennes était tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Sous la menace de 300 personnes qui avaient annoncé leur intention de l’assiéger, la banque a fermé son siège central et six agences alentour, et annulé pour la journée les rendez-vous qui devaient s’y dérouler. Regroupés derrière un cordon « zone d’évasion fiscale », les militants sont restés massés quarante-cinq minutes devant l’établissement. Ce n’est que lorsque la foule a commencé à se disperser qu’un vigile, retranché derrière les grilles massives, a pointé le bout de son nez pour placarder discrètement une affiche présentant ses excuses aux clients « pour la gêne occasionnée ».

« BNP assèche les finances de l’Etat qui va ensuite lui demander l’aumône »

« En cela, c’est déjà une victoire » , se félicite Txetx Etcheverry, membre de l’association basqueBizi ! et coordinateur du mouvement Alternatiba, avant d’embrayer : « Nous somme devant la BNP pour des raisons précises : d’abord car la BNP est sponsor officiel de la COP21. » Comme celuid’EDF, d’Air France ou d’Engie, ce partenariat passe très mal auprès des militants écologistes.« En plaçant son argent dans les paradis fiscaux, la BNP assèche les finances de l’Etat qui va ensuite demander l’aumône pour quelque pauvres 180 millions d’euros », souligne l’activiste. Le montant est présentée comme une broutille rapporté au manque à gagner lié à l’évasion fiscale.« Les paradis fiscaux coûtent 80 milliards par an la France, rappelle Florent Compain, le président des Amis de la Terre« C’est autant d’argent qui ne sert pas à financer la transition sociale et énergétique. » Entendez, l’épineux « fonds vert » qui doit être alimenté à hauteur de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour financer l’adaptation des pays du Sud aux conséquences du changement climatique et constitue un point d’achoppement classique des négociations des COP.

« Qui vole qui ? », interrogeaient les pancartes brandies par les militants. « Pour moi, c’est exactement la question », estime Xavier, 22 ans, qui a auparavant participé à trois actions de« réquisition de chaises ». Depuis février, des commandos de vingt à trente personnes, adeptes d’une désobéissance non violente, mais qui encourent tout de même une peine maximale de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende, pénètrent à visage découvert dans les agences des banques qu’il estiment les moins éthiques – notamment BNP Paribas et HSBC – et en ressortent avec des chaises. Tandis que certains activistes repartent à pied, en voiture ou en métro avec leur magot, d’autres tentent de faire passer le message aux badauds, salariés et directeurs :« L’argent pour le climat existe, il est dans les paradis fiscaux ». Ces « Robins des banques », comme les surnomme Florent Compain, sont souvent membres d’Attac, des Amis de la Terre ou d’Action Non Violente COP21 (ANV), mais ils sont parfois rejoints par de simples citoyens. « Ça donne le sentiment de pouvoir agir, après le sentiment d’impuissance et d’injustice ressenti depuis le sauvetage des banques en 2008 » poursuit-il, espérant que cette mobilisation conduise « à faire enfin le procès de l’évasion fiscale ».

« Prendre la Bastille »

Après le vol vient le recel. Interviennent alors des renforts de poids : les philosophes Edgar Morinou Patrick Viveret se sont portés volontaires pour garder les sièges au chaud en signe d’adhésion au mouvement. D’autres, comme le comique Christophe Alévêque ou l’économiste et membre d’Attac Geneviève Azam, ont fait part de leur soutien.

Tandis que José Bové, Pierre Larrouturou, Patrick Viveret et quelques autres visages familiers pour l’assemblée se passent le micro, quelques fauteuils avancent justement en flottant au dessus des têtes. Pendant que les figures de proue du mouvement expliquaient leurs motivations à la presse, un escadron de faucheurs de chaises « prenait la Bastille », selon les mots de Txetx Etcheverry. Ce nouveau larcin, réalisé simultanément dans deux agences autour de la place en question, porte le nombre de sièges dérobés à près de 250. Sur ce total, 196 – en référence aux 196 parties qui négocient en ce moment dans le cadre de la COP21 – seront réunies lors du Sommet citoyen pour le climat qui se déroulera les 5 et 6 décembre à Montreuil.

Fort de ce moyen de pression, une semaine avant cette action coup de poing, les ONG étaient reçues par trois pontes de l’établissement : Michel Konczaty, le directeur général-adjoint, Philippe Bordenave, directeur général délégué, et Laurence Pessez, déléguée à la RSE de l’entreprise.« Nous avons avec les ONG un dialogue nourri et continu », résume la communication du groupe.« Je pense qu’on les agace, s’amuse Xavier. Une chaise, ce n’est rien par rapport à tout l’argent qu’ils ont, mais en termes d’image, c’est un peu gênant. » Interrogée sur le mode d’action, la banque a préféré ne pas commenter. 

Le bonheur du terrorisme

Sur le fonds, BNP Paribas se défend. Le groupe rappelle avoir « payé 2,2 milliards d’euros d’impôts en 2014, avec un taux d’imposition effectif de 30% ». Son service communication souligne que BNP Paribas « n’est présent dans aucun des pays figurant sur la liste noire de l’OCDE ». Une défense légère aux yeux des ONG. « Le problème, ce sont les filiales de filiales de filiales. C’est l’opacité totale », reprend Txetx Etcheverry. Au micro, chacun tient à rappeler que l’évasion fiscale fait le bonheur du terrorisme, citant l’exemple des 66 victimes d’Al-Qaïda qui, aux Etats-Unis, ont porté plainte contre BNP Paribas

Les ONG nourrissent d’autres grief à l’encontre de l’établissement. « Depuis 2009, BNP Paribas a investi 52 milliards dans les énergies fossiles », rappelle Malika Peyrault, chargée de campagne aux Amis de la Terre. Malgré de récents engagements sur le charbon, des autocollants« Changeons le système pas le climat » égayent désormais les grilles austères de l’établissement.

A lire aussi sur Terraeco.net : 
- Energies fossiles : les banques françaises ont toujours les mains sales 
- EDF, Air France et BNP Paribas s’achètent l’amitié du climat 
- Comment les gros pollueurs infiltrent la COP2
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Connaître les saboteurs de climat pour les empêcher de nuire

Connaître les saboteurs de climat pour les empêcher de nuire

2 décembre 2015 Philippe Thureau-Dangin (Reporterre) 

    
Ils sont les fauteurs oubliés du changement climatique : banques, industriels du pétrole et du charbon... Et pourtant, moins d’une centaine de ces multinationales sont responsables des deux-tiers des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Dans Les saboteurs du climat, enquête documentée et chiffrée, le journaliste Nicolas de la Casinière les tire de l’anonymat.
Les Anglo-Saxons appellent cela disclosure. Disons donc tout de suite que le livre dont je vais vous parler, Les Saboteurs du climat, est coédité par Reporterre, le site où vous êtes... Je ne vais donc pas vous en dire trop de bien, ce serait louche ni trop de mal d’ailleurs, car le livre en question est tout à fait pertinent et documenté.
L’auteur, Nicolas de La Casinière, qui est correspondant à Nantes de Libération et de... Reporterre, rappelle d’emblée une donnée trop vite oubliée : même si tout le monde est peu ou prou responsable de la catastrophe climatique annoncée, 90 grands groupes mondiaux sont à l’origine des deux-tiers des émissions de gaz à effet de serre ! Ces entreprises – qui touchent au pétrole, charbon, pneumatiques, etc – ne sont guère vertueuses, même si elles prétendent souvent le contraire. Et parmi cette cohorte de « saboteurs », certains sont français, et quelques-uns ont même l’État comme actionnaire minoritaire !

« Le charbon est à la fois le passé et l’avenir »

Ce sont ces mauvais exemples hexagonaux que le livre pointe principalement du doigt. On y retrouve bien sûr le groupe Total en bonne place, qui n’hésite pas à se lancer dans l’exploitation des sables bitumineux et souhaiterait bien s’attaquer au gaz de l’Arctique... On y croise le beaucoup moins connu groupe familial Sparkling Capital, fondé en 2009, qui s’est spécialisé dans cette industrie délaissée par d’autres : les charbonnages. Même si le charbon pèse pour 44 % des émissions de gaz à effet de serre, l’ingénieure Michèle Assouline, la présidente de Sparkling, en est persuadée : « Le charbon est à la fois le passé et l’avenir : il est indispensable », a-t-elle dit au micro de RTL

Cela dit, Sparkling (qui veut dire « éblouissant, pétillant » en anglais) n’est pas le seul à turbiner au charbon. EDF ou Engie (ex GDF-Suez) « détiennent, totalement ou partiellement, ou via des filiales, 46 centrales à charbon émettant plus de 151 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de près de la moitié des émissions totales de la France »EDF, par exemple, est présent en Pologne, en Chine, en Belgique et en France (deux centrales)... Quant à Engie, rappelle Nicolas de La Casinière, sur les 30 centrales que le groupe possède de par le monde, dix d’entre elles sont cataloguées comme « subcritiques », autrement dit des installations vétustes, gourmandes en eau et en combustible... Morale : même si la France se veut la championne du nucléaire, ses grands groupes continuent d’émettre sans vergogne.

L’image des saboteurs est en jeu

Faut-il pour autant être pessimiste ? Il y a tout de même des progrès ici ou là. Certains saboteurs se rendent compte que leur image est en jeu. D’autres cèdent devant l’action des écologistes. C’est ainsi que l’association Bizi !, en annonçant à l’avance les actions qu’elle allait entreprendre, a poussé la Société générale à renoncer à financer un projet charbonnier australien. Même Total a décidé de se désengager de la production de charbon en Afrique du Sud. Et Michelin, autre saboteur notoire, ne cultive presque plus en direct l’hévéa (tout en continuant bien sûr à en consommer). L’industriel du pneumatique a même piloté en Indonésie un projet de reforestation. On peut, comme le fait l’auteur du livre, souligner que cette reforestation ne concerne que 50 % des surfaces, l’autre moitié étant replanté en... hévéa, mais c’est tout de même mieux que rien. Dans sa fougue militante, La Casinière reproche d’ailleurs à Total de « vouloir préserver le plus longtemps ses profits » (ce en quoi il n’y a rien de criminel) et plus loin il se désole que les pétroliers investissent dans l’éolien et le solaire. Pourtant ces investissements ne peuvent pas nuire.
Mais l’auteur a parfaitement raison lorsqu’il décrit tous les artifices de la communication qui permettent à ces grands groupes de s’auto-décerner des labels verts, ou de présenter leur action comme « responsable ». Et lorsqu’il relève que des entreprises comme le cimentier Lafarge, le sidérurgiste Arcelor-Mittal ou GDF-Suez ont financé tout récemment les sénateurs états-uniens les plus climatosceptiques, on tombe des nues et on se dit que le climat, malgré toutes les COP, est encore un combat à venir.

Dans les Vosges, l’économie circulaire fait revivre un village

Dans les Vosges, l’économie circulaire fait revivre un village

18 novembre 2015 Baptiste Giraud et Lucas Mascarello (Reporterre) 

    
Dans un village vosgien situé en pleine campagne, l’association Minos crée une dynamique sociale autour de l’économie circulaire et de sa recyclerie. L’objectif : permettre aux gens de travailler, pour faire vivre ce territoire rural.
- À Monthureux-sur-Saône (Vosges), reportage
Samedi matin, 8 h, la longue rue centrale et la place du marché sont couvertes de brume. Derrière son petit stand de légumes bio, et malgré les 5 °C qu’affiche la croix verte de la pharmacie, Jean tresse un panier en osier. S’il connaît la recyclerie Minos « Bien sûr, j’y ai travaillé un an en contrat d’insertion, en tant qu’agent de collecte. J’ai trouvé ça super, et puis ça m’a permis de rebondir et de me lancer dans le maraîchage. » Une dame vient lui acheter quelques noix et de la salade. « C’est formidable, ce qu’ils font à Minos. C’est dynamique. Vous vous rendez compte, dans un village comme Monthureux… »
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En milieu de matinée, le magasin de la recyclerie fait le plein de visiteurs.
Justement, c’est aujourd’hui que se tient la vente mensuelle de la recyclerie. Nous prenons la direction de l’ancienne fabrique de fil, qui sert pour quelques mois encore de stockage et de magasin. Difficile de la rater : parking complet, des voitures stationnent au bord de la route départementale. À l’intérieur, ça fourmille. Comme si tous les habitants des alentours s’étaient donnés rendez-vous. Meubles, livres, vaisselle, électroménager, outils, fripes, jeux, et même ordinateurs : « On trouve de tout ici. Franchement, chapeau ! » s’exclame Thérèse, occupée à choisir des revues. « Vu la vie actuelle, on est content de trouver moins cher, et j’ai pas honte. » À côté d’elle, Dominique a déniché des livres sur les loisirs créatifs, un coussin à « relooker » pour offrir à Noël, et des jeux pour ses petits-enfants.

« Enrayer ces cercles vicieux »

Devant les trois caisses, tenues par des bénévoles, une trentaine de personnes font déjà la queue. Jacques, président de l’association et « le nez dans le guidon », tient l’une d’elles. Ce ne sont pas n’importe quelles caisses, explique-t-il : grâce à un logiciel de gestion de données, développé par l’association Cap 3C, tous les flux sont enregistrés. « J’ai voulu qu’on identifie et qu’on pèse ce qui rentre et sort. Comme ça on peut dire à ceux qui nous aident : ’’Voilà le tonnage qui n’est pas passé dans le système d’élimination des déchets’’ », explique Jacques. Ce jour-ci, la vente s’avère fructueuse : plus de 4.400 € de recette, soit 3,158 tonnes d’objets partis vers une nouvelle vie. En 2014, 80 tonnes ont été collectées, 78 % des objets ont été valorisés, et un peu plus de 40 % vendus.
C’est Raynald Magnien-Coeurdacier qui a créé l’association en 2006. Malgré sa consonance sidérurgique, la famille Coeurdacier est ancrée dans le village depuis des siècles. Né ici, Raynald est d’abord parti travailler dans le théâtre et l’audiovisuel. Avant de se reconvertir dans l’économie sociale et solidaire et de revenir habiter sa maison de famille. Puis de lancer Minos, pour « moyen d’insertion novateur pour l’organisation sociale ». Deux ans plus tard, il se fait même élire maire du village. « Mais Minos est plus utile que la mairie », confie-t-il. « Les gens s’en vont d’ici parce qu’il n’y a pas de boulot », constate Raynald. Aux confins de la Lorraine, la Champagne-Ardenne et la Franche-Comté, 960 âmes entourées d’une forêt de chênes et de quelques pâturages, à 30 km de Vittel et à 50 d’Épinal : Monthureux fait partie de ce que certains appellent l’ « hyperruralité ». Desservi par trois bus par jour seulement, le village possède le minimum de commerces nécessaires pour assurer le quotidien des 3.000 personnes qui vivent aux alentours.
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Raynald Magnien-Coeurdacier, maire de Monthureux-sur-Saône et fondateur de l’association Minos.
Aurélie Dupuy-Lanterne est responsable administrative et des ressources humaines à Minos. En 2014, 45 personnes ont été accompagnées. Elle connaît bien les profils des gens qui se retrouvent ici, les problèmes d’addictions, de femmes divorcées ayant peu, voire jamais, travaillé, les licenciements économiques. « Les gens se retrouvent ici parce que c’est pas cher et qu’il y a des logements sociaux. Puis, ils commencent à avoir des problèmes de voiture, de mobilité, pas d’argent pour se soigner, etc. On cherche à enrayer ces cercles vicieux. »

Éviter l’effet ghetto et la stigmatisation

Comment ? L’action de Minos se déploie sur trois niveaux : remobilisation sociale, chantier d’insertion et entreprise d’insertion. Le premier s’adresse aux personnes les plus en difficulté. Des ateliers (couture, cuisine, écriture) leur sont proposés afin de les faire sortir de chez eux et de retrouver un contact social. En veillant à éviter l’effet ghetto et la stigmatisation.
Certains jeudis, l’atelier cuisine prépare un repas auquel sont invités les gens du village. Parfois, un atelier d’écriture s’y mêle, raconte Raynald : le médecin ou l’artisan du coin se retrouvent à devoir faire les mêmes exercices d’écriture que les autres, se font aider, et lisent à leur tour leur production. « Les gens se demandent parfois pourquoi on y met tout cet argent public. Mais quand ils viennent voir, ils comprennent enfin l’intérêt de nos actions. »
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Des centaines de livres sont collectés et revendus.
Deuxième étape, les « remobilisés » peuvent postuler au chantier d’insertion que constitue la recyclerie. « En contrat d’insertion, ils travaillent 24 h par semaine. Ça laisse du temps à côté pour faire les démarches administratives. Et leur salaire est juste au-dessus du seuil de pauvreté, c’est important », explique Aurélie.
Le travail à la recyclerie se décompose en trois parties : la collecte des objets, chez des gens ou en déchetterie, mais à moins de 30 km à la ronde pour ne pas émettre trop de CO2 ; le tri et la valorisation de ce qui a été récupéré ; la mise en rayon dans le magasin et la vente. Pour Jacques, le président, « c’est quasiment l’outil idéal, car il n’y a pas besoin de techniciens. Ça les oblige à se lever le matin, et ça leur permet de répondre quelque chose quand on leur demande ce qu’ils font ». Les contrats durent un an maximum, le temps de construire un projet professionnel. Aurélie travaille avec une psychologue : « On les aide à trouver des formations, à comprendre comment ça marche. Et puis on cherche surtout à les rendre autonomes. »
Objectif particulièrement réussi pour Hervé. Après une année en insertion à la recyclerie, sa connaissance du travail et son investissement étaient tels que la direction lui proposa un CDI de responsable. Depuis, c’est lui qui encadre la petite dizaine d’ouvriers. « Je ne suis pas éducateur, mais j’essaie de faire en sorte qu’il y ait une vie de groupe », confirme l’intéressé. Son envie s’entend quand il évoque les possibilités d’évolution de l’activité : « Avec le gisement qu’on a, vous imaginez tout ce qu’on pourrait faire… »

Jouer le rôle d’« incubateur »

Dernier niveau, en place depuis cet été : une entreprise d’insertion qui produit des petits cubes en bois. Ils servent à faire vieillir le vin dans des cuves en -Inox. Cette fois, les salariés travaillent 35 h par semaine, ont des tâches plus techniques et des objectifs de production. Sans oublier l’importance de la quarantaine de bénévoles actifs, « force d’amorçage » de l’association, indispensables au bon déroulement de chaque vente et des ateliers. Récup’art, l’un de ces ateliers, donne un exemple de réutilisation des rebuts. « Ça marche très, très bien. Surtout avec les gamins, ils ont une créativité terrible », s’enthousiasme Hervé.
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Julien Beme (à gauche), en contrat d’insertion, et Françis Malagié, bénévole trésorier de l’association, trient les cubes de bois destinés aux cuves de vinification.
« On ne veut pas juste être une forêt et un lieu où les gens viennent fleurir la tombe et se balader à la Toussaint. On veut redonner de l’espoir aux habitants. Notre coin a un avenir ! soutient le maire, aujourd’hui directeur de Minos. Et si on veut que des endroits ruraux comme les nôtres existent, il faut que l’économie et les emplois marchent. Donc il faut inventer un système économique. » Tout en veillant à prendre soin de l’ « écosystème social », comme il l’appelle. « Des petites vieilles qui n’ont pas de bagnole, leurs enfants viennent pour la vente et passent les prendre en passant »,raconte Jacques. « Et même les services sociaux donnent des bons d’achat pour Minos aux gens dans le besoin. Avec 200€, ils récupèrent tout ce qu’il faut pour aménager leur maison », ajoute Raynald.
Et l’écologie dans tout ça « Je n’ai pas vraiment la fibre écolo au départ. On a plus vu l’aubaine pour faire de l’emploi », avoue Raynald. Mais l’économie circulaire, ça, il y croit. Et puis, l’écologie n’est-elle pas dans le combat pour faire vivre nos campagnes sans qu’elles dépendent trop des villes ?
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Dans les couloirs de l’association, des créations de l’atelier Récup’art.
Minos se verrait bien jouer le rôle d’« incubateur ». « Des gens qui veulent venir à la campagne et développer leur projet, s’ils respectent nos valeurs, on les héberge, on les accompagne, on peut même leur fournir des salariés en insertion. » Sous quelque forme que ce soit, Raynald veut attirer des jeunes, compétents et créateurs, dans sa campagne vosgienne. Comme il vient de le faire pour Émilie, fraîchement sortie de l’école du bois d’Épinal et chargée de la fabrication et commercialisation d’un arbre de noël en bois à Minos : « Je souhaitais m’installer dans les Vosges. La ruralité, ça ne me fait pas peur. Jamais je ne pourrais vivre en ville. »

Renversant : l’énergie citoyenne remet l’Ecosse à l’endroit

Renversant : l’énergie citoyenne remet l’Ecosse à l’endroit



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(Crédit photo : Louis Witter pour « Terra eco »)

100% d’électricité renouvelable en 2020 : c’est l’objectif du gouvernement écossais. Pour y parvenir, il encourage les habitants à prendre leur énergie en main. Message reçu sur l’île de Gigha et à Edimbourg, où éoliennes et microbarrages changent la vie des plus modestes.
Déterminé à perdre l’embonpoint qu’il impute à sa sédentarité de retraité, chaque matin, John Martin enfourche son vélo et s’en va saluer ses éoliennes. Contempler les quatre turbines de 90 mètres de haut qui se détachent de la brume procure à cet Ecossais de 74 ans « la fierté d’un combat gagné ». En tant qu’habitant de Gigha, petite île de 14 kilomètres carrés à l’ouest de l’Ecosse, ce bien commun lui appartient. « Il y a encore quinze ans, ici, on vivait comme des chiens, dans un système féodal où nos conditions de vies ne dépendaient que d’un seul homme », raconte-t-il de sa voix caverneuse. Installé à Gigha en 1971, cet ancien charpentier-vitrier a vécu trente ans dans une passoire thermique que le propriétaire de l’île, percepteur de la majorité des loyers, laissait tomber en ruines. Eté comme hiver, l’insulaire passait ses soirées collé au poêle à charbon, emmitouflé dans l’un de ces plaids à carreaux qui font la fierté du pays. « Et puis les éoliennes sont arrivées. Elles sont une bénédiction, l’instrument de notre liberté », lance-t-il dans un sourire qu’encadre une paire de rouflaquettes finement taillées.

Les quatre turbines de Gigha sont une goutte d’eau au milieu des 7 316 mégawatts de capacité d’énergie renouvelable installée en Ecosse. Ensemble, barrages hydroélectriques, hydroliennes, éoliennes terrestres et offshore fournissent déjà 49,8% de l’électricité du pays. Certains mois, comme au dernier trimestre de 2014, le parc éolien produit à lui seul plus d’électricité qu’en consomment les foyers. Dans ce pays au relief accidenté, balayé par les vents, on s’enorgueillit – jusque sur les murs de l’aéroport de Glasgow – d’avoir su tirer partie des éléments. « L’objectif de 100% d’électricité renouvelable en 2020 est très bien engagé », se félicite dans son bureau d’Edimbourg Aileen McLeod, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique. A titre de comparaison, au même horizon, la France tentera péniblement d’atteindre 23%…

Au milieu du brouillard qui, à la mi-journée, enveloppe encore les prairies de Gigha, John Martin lâche son guidon pour saluer Colin Anderson. Polaire sans manches et chaussures de chantier, cet ingénieur arrivé la veille par le ferry chapeaute un nouveau projet-pilote : l’implantation d’une batterie capable de stocker le surplus produit les jours de grand vent. Au milieu de ce décor laiteux, un chemin sombre se détache. Les pierres concassées qui mènent aux éoliennes viennent de la carrière de l’île, redécouverte pour l’occasion. « Les habitants voulaient être cohérents et s’approvisionner localement », commente ce conseiller technique, accompagnateur du projet depuis ses origines. (…)

Vous pourrez découvrir l’intégralité de ce reportage dans le hors-série « Le climat de vous à moi », disponible en kiosque et sur commande, en suivant ce lien. Bonne lecture !

Les pieds mouillés de Putra

Les pieds mouillés de Putra


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(Crédit illustration : Christophe Merlin pour « Terra eco »)

Tambak Lorok est voué à disparaître. Tous les jours, toute l’année, la mer s’engouffre dans les maisons de ce bidonville indonésien. Pendant la saison des pluies, les habitants ont de l’eau jusqu’à la taille. Mais aucun n’imagine partir. Aucun n’a les moyens de partir.
Assis au bout de la jetée en bambou, tandis qu’un soleil rouge feu se lève sur une mer silencieuse, une poignée de pêcheurs surveillent les lignes. Les cabanes en bois perchées sur pilotis se réveillent doucement face à l’horizon d’où émergent les piquets des parcs à crevettes. Dans le dédale de ruelles encore fraîches où sèchent les filets, l’effluve indélébile de vase se mêle à celle des fruits de mer qui ont tourné au soleil de la veille et à celle des ordures essaimées un peu partout. Les poules picorent dans les déchets pendant que jaillissent des maisons des enfants à moitié nus, des femmes en pyjama, encore endormies, et des hommes fumant leur première kretek, la cigarette locale parfumée au clou de girofle. Par la porte ouverte d’une bicoque faite de bric et de broc, une sono hurle une chanson de dangdut, la musique populaire indonésienne. « J’essaie de faire aller, j’essaie d’être heureux », répète le refrain sur une mélodie entraînante. Depuis six mois, il n’a pas plu dans ce village surpeuplé d’Indonésie, où vivotent, enclavées, des milliers de familles de pêcheurs. Pourtant, chaque matin, c’est la même rengaine : Tambak Lorok et ses 14 000 habitants se réveillent les pieds dans l’eau.

Difficile de dire depuis quand. Peut-être dix ans, peut-être plus. A marée haute, la mer s’engouffre dans ce bidonville de Semarang, cinquième ville d’Indonésie, un million d’habitants, située à 400 kilomètres à l’est de la capitale, Jakarta. Au fil des ans, les maisonnettes de ce village, bâties sur un sol friable, s’enfoncent. D’un mètre, puis de deux. Alors, pour remédier au problème, le gouvernement rehausse les principales artères pavées. De quarante centimètres, puis encore de cinquante, et dans deux mois, à nouveau de soixante-dix centimètres. Les baraques, livrées à elles-mêmes sur le bas-côté, végètent. Pour tenter d’enrayer l’engloutissement, les habitants bricolent : bambous, briques, sable, pierres et même coquilles de moules. Le maître-mot : la débrouille.

Ainsi ce matin, l’eau s’est invitée dans le salon en terre battue de Putra, comme d’habitude. Cette fois, elle s’est arrêtée aux chevilles. Les pieds du lit en ferraille sont perchés sur des briques.« C’est pas trop dérangeant. Normalement, il y a en a jusqu’à la télé », précise le jeune homme, impassible. La lumière ne rentre plus depuis longtemps dans la pièce. Au ras du sol, la fenêtre, condamnée par des planches de bois, s’est transformée en soupirail. On peut passer devant la maison de Putra sans la voir. C’est la seule de la rue qui n’a jamais été rehaussée, et le sol l’a avalée d’un mètre. Elle a des airs de tente canadienne, au milieu d’une mare d’ordures où barbotent les têtards. Assis devant sa maison, le jeune homme svelte donne le biberon à sa nièce, Hany. Son regard est trop sérieux, l’adolescence a été courte. A vingt-deux ans, Putra en paraît au moins trente. « On doit faire face », souffle-t-il, stoïque. Chez Putra, le marcel est immaculé, les épaules solides. Depuis la mort de ses parents, il nourrit les cinq bouches de la maisonnée en travaillant six jours sur sept à l’usine de textile de Tambak Lorok. Avant, le père pêchait des crevettes dans de grands filets le long du port, comme la majorité des hommes du village. Il les revendait directement sur le marché. C’est pourquoi Putra ne blâme pas la mer : « Même si ça amène des problèmes, ça amène de l’argent ». Sa sœur, Murni, apparaît dans le cadre de la porte. Elle est belle, Murni, avec ses yeux noirs soulignés d’un trait de crayon, ses cheveux relevés en chignon et sa longue jupe violette. Elle a fini le collège en juin dernier, mais n’ira pas au lycée. Trop cher, trop loin. Murni aime cuisiner, s’occuper de Hany et voir ses amies, à deux pâtés de maisons. Mais elle déteste nettoyer la maison après les inondations. Elle aussi a grandi trop vite. Elle ne pense pas trop à l’avenir, mais a une certitude : pas question de partir. « C’est notre père qui a construit la maison. On y est attachés », insiste-t-elle. (…)

Vous pourrez découvrir l’intégralité de ce reportage dans le hors-série « Le climat de vous à moi », disponible en kiosque et sur commande, en suivant ce lien. Bonne lecture !

Un saumon transgénique au menu des Américains

Un saumon transgénique au menu des Américains| 


Un saumon transgénique au menu des Américains
(Crédit photo : NTNU - Flickr)

Ne lui cherchez pas de petit nom latin comme toutes les bêtes un jour nommées par un naturaliste, appelez-le seulement AquAdvantage. Malgré son nom de dentifrice, c’est un saumon. Il est plutôt élégant, avec sa robe argentée tachetée de bleu. Mais sa petite fantaisie ne se voit pas au premier coup d’œil : il est génétiquement modifié. L’Agence France Presse explique ainsi que ce poisson peut être défini comme une sorte de nouveau saumon de l’Atlantique auquel on a injecté un gène du saumon chinook du Pacifique afin qu’il grossisse plus vite. Les autorités sanitaires américaines viennent de le décréter comestible. AquAdvantage, produit par la société AquaBounty. Il devient donc le premier animal transgénique à atterrir dans l’assiette de nos voisins d’outre-Atlantique.

Les services vétérinaires de l’agence fédérale des médicaments et de l’alimentation estiment que les qualités nutritionnelles d’AquAdvantage sont au rendez-vous. Quant aux questions environnementales que l’élevage d’un tel animal sont susceptibles de poser, l’agence répond sans sourciller qu’elles sont minimes pour le territoire américain. Et pour cause : AquAdvantage n’est pas autorisé à être conçu et élevé chez l’oncle Sam. Pour l’instant, les œufs sont produits au Canada et transportés ensuite au Panama pour que les petits saumons engraissent. Du coup, ce sont les ONG canadiennes qui poursuivent leur gouvernement pour avoir ouvert la boîte de Pandore en laissant des œufs transgéniques se démultiplier sur leur territoire
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Daech sur un tas d’or (noir)

Daech sur un tas d’or (noir)


Daech sur un tas d'or (noir)
(Crédit photo : Daech - Naissance d’un Etat terroriste - Arte)

La guerre contre le terrorisme passe aussi par l'argent. Or, Daech est riche. De taxes, de rançons mais aussi des ressources qu'elle exploite sur le territoire qu'elle occupe, comme le pétrole. Un robinet difficile à fermer.
« Nous restons déterminés à nous attaquer aux voies de financement du terrorisme. » C’est ainsi que s’exprimaient, dans un communiqué, les leaders du G20 réunis à Antalya, en Turquie, le 16 novembre. Couper les vivres de Daech n’est pas chose aisée. Car ses ressources sont multiples. Selon un rapport publié en octobre 2014 par les experts Jean-Charles Brisard et Damien Martinez (voirPDF), le budget de l’Etat islamique reposerait à 38% sur les ressources pétrolières, à 17% sur le gaz naturel, à 10% sur le phosphate, à 10% sur le ciment, à 7% sur le maïs et l’orge. Le reste (18%) étant assuré par les extorsions en tous genres, les rançons après kidnappings et les dons.

Si l’or noir pèse si lourd dans ce bilan, c’est que la région annexée par Daech, à cheval sur la Syrie et l’Irak, est riche en pétrole. Et l’organisation terroriste a mis la main sur des puits : sept en Syrie dont le gisement d’Al-Omar – le plus gros du pays – et treize en Irak, assurait en octobre 2014 le rapport Brisard-Martinez en s’appuyant en partie sur les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Neuf en Syrie et une poignée en Irak, selon une autre enquêtepubliée dans le Financial Times en octobre 2015. Mais Daech manque d’expertise et de main-d’œuvre qualifiée. « Pour maximiser l’extraction de pétrole brut sur le gisement d’Al-Omar, il faut utiliser des techniques sophistiquées d’injection hydraulique, soulignait en février 2015, un rapport du Groupe d’action financièreParce que l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ne dispose pas de l’expertise ou de l’équipement nécessaire, elle ne peut extraire qu’une fraction de la production potentielle du puits. » L’organisation terroriste parviendrait malgré tout à produire 34 000 à 40 000 barils chaque jour, toujours selon le Financial Times. Bradés aux acheteurs entre 25 (23,50 euros) et 45 dollars (42 euros) le baril, ils rapporteraient à l’organisation pas moins de 1,53 million de dollars (1,43 million d’euros) par jour, selon le quotidien britannique.

Revenus en recul

Un chiffre loin d’égaler la manne d’autrefois. La faute à l’effondrement du prix du baril. « Si la chute des prix du pétrole depuis l’été 2014 a affecté les grosses compagnies pétrolières, elle a aussi touché les groupes terroristes qui ont pris le contrôle de puits », décrypte Francis Perrin, directeur de la rédaction du magazine Pétrole et Gaz Arabes, qui rappelle que le prix du baril de Brent de la mer du Nord est passé de 115 dollars (108 euros) en 2014 à moins de 45 dollars (42 euros) aujourd’hui. « Je ne vois pas comment les revenus de Daech n’ont pas pu en être affectés », poursuit l’expert. « Selon nos sources, les revenus ont reculé de 1 milliard de dollars (940 millions d’euros) à 600 millions de dollars (564 millions d’euros) par an », explique Jean-Charles Brisard, l’auteur du rapport paru en octobre 2014. Un chiffre « contrebalancé par l’augmentation des extorsions et des taxes », tempère le spécialiste.

Si les revenus pétroliers ont baissé, c’est aussi que « la coalition dirigée par les Etats-Unis a réussi à détruire ou surtout endommager des actifs pétroliers : parfois quelques puits mais surtout des oléoducs, des raffineries artisanales et des camions citernes », décrypte Francis Perrin. « La coalition internationale frappe la capacité de stockage et de transport du pétrole plus que les puits eux-mêmes. Et ce, pour ne pas pénaliser la population », abonde Jean-Charles Brisard. Mais Daech « s’est adapté aux frappes aériennes. Ils vendent directement au sortir des puits à des intermédiaires qui viennent chercher un pétrole à bas coût à leurs risques et périls. C’est là qu’on voit des files de camions se former », précise l’expert.

Où vont les barils de Daech ?

« Aux abords du puits Al-Omar, dans l’est de la Syrie, tandis que des avions de guerre survolent la zone, une ligne de camions s’étend sur 6 kilomètres. Certains chauffeurs attendent un mois pour remplir leurs citernes », contait ainsi le journaliste du Financial Times dans son reportage publié en octobre. Au départ du puits, plusieurs options s’offrent aux chauffeurs : acheminer le pétrole brut vers des raffineries locales détenues ou non par Daech – malgré les frappes, « certains signes laissent penser que, ces derniers mois, Daech aurait repris ses opérations de raffinerie », souligne le Financial Times – ou écouler leur stocks directement sur les marchés du territoire occupé. Ils peuvent aussi le vendre à d’autres intermédiaires qui se chargeront de fournir en pétrole et produits pétroliers les zones sous contrôle rebelle.

Le pétrole peut aussi partir, à bord de camions, vers la frontière turque afin d’alimenter un marché de contrebande. « Avant même l’installation de Daech, il y avait pas mal de contrebande dans la région depuis l’Irak – essentiellement les régions kurdes – vers la Turquie. Car les Kurdes contestaient la mainmise du gouvernement central sur le pétrole autour de Kirkouk. Ces pratiques de contrebande, Daech les a adoptées et renforcées », assure Karim Pakzad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste notamment de l’Irak.

Le rôle de la coalition internationale

Or, longtemps, la Turquie a fermé les yeux, laissant des convois traverser tranquillement sa frontière : « Un millier de camions citernes entrent chaque jour en Turquie. Ça ne peut pas être du clandestin ! », souligne Karim Pazkad. Les choses pourraient changer. « L’Etat islamique a fait l’erreur de commettre un attentat sanglant en Turquie (l’attentat du 10 octobre à Ankara perpétré par une cellule turque de l’Etat islamique a fait 102 morts et plus de 500 blessés, ndlr), ce qui risque de rendre les Turcs plus actifs », rappelle Francis Perrin, qui juge que les efforts d’Ankara n’étaient pour le moment « pas suffisants ».

Jean-Charles Brisard, lui, va plus loin. Pour couper les vivres à Daech, il faut empêcher toute circulation des ressources. « Moi, je prône l’embargo. Qu’aucun produit de pétrole, de gaz, de blé, de coton, de phosphate ne puisse sortir du territoire contrôlé par l’Etat islamique. Quelle que soit la marchandise, tout ce qui en vient ne doit pas pouvoir sortir. C’est à la communauté internationale de le faire par la force. Ça a déjà été appliqué sur l’Unita en Angola qui contrôlait des puits de pétrole. Ce sera toujours plus efficace que des sanctions de l’ONU comme le gel de fonds qui ne sert à rien », assure l’expert qui rappelle que, à l’inverse d’Al-Qaida, l’organisation dépend très peu des donations internationales.

Mais même à enfermer Daech sur son territoire, lui restera une ultime ressource : sa population, que l’organisation islamique taxe à peu près sur tout – échanges commerciaux, déplacements de personnes et de marchandises, impôts sur les services « publics » (eau, électricité, soins…). « A partir du moment où un groupe n’est plus dans la clandestinité, il peut taxer. Or, les populations et les acteurs économiques de la zone contrôlée par Daech n’ont pas la possibilité de ne pas payer, souligne Francis Perrin. S’attaquer aux sources de recettes, dont le pétrole, et les faire diminuer, c’est déjà positif pour contrecarrer l’action de Daech. Mais un jour, il faudra aller les chercher au sol. Parce que tant qu’ils contrôleront un territoire, ils auront toujours de l’argent.
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