mercredi 31 décembre 2014

Ils changent le monde ! par Rob Hopkins

Ils changent le monde ! par Rob Hopkins


ils changent le monde! de Rob Hopkins - éditions Seuil
« Le problème avec le changement, c’est que quand on est en plein dedans, cela ne ressemble pas au changement. Ce n’est que lorsqu’on fait une pause et qu’on regarde en arrière qu’on réalise l’ampleur de ce qui se passe ».
Le nouveau livre de Rob Hopkins, d'où cette phrase est extraite, raconte justement ce changement. Pas seulement celui que nous subissons : crises économique, sociale et écologique, largement expliqué dans la première partie. Mais aussi celui que nous choisissons – ou pouvons choisir : la relocalisation de notre économie pour satisfaire nos besoins (se nourrir, se loger, s’éduquer, se vêtir, etc.), via l’action locale et collective.  L'auteur, à l’initiative du mouvement de transition à commencer par Totnes, au Royaume-Unie, montre, par le biais de nombreuses success stories, que la transition a déjà lieu partout dans le monde et qu’elle est efficace.

Un exemple (détaillé dans le livre): à Semur-en-Auxois, une petite ville de Bourgogne, une poignée d’habitants a lancé en 2010 un atelier hebdomadaire de vannerie sauvage. L’idée : utiliser les matériaux naturels du coin (ronces, noisetier, églantier…) pour fabriquer des paniers et autres objets selon les savoir-faire traditionnels. S’en sont suivis la rénovation d’une oseraie abandonnée, la plantation d’une nouvelle oseraie, des sorties nature, puis des balades gourmandes pour découvrir des plantes sauvages comestibles, etc. Un projet de four solaire est à l’étude. Et Semur en transition a lancé en 2012 une Semaine du local, durant laquelle sont organisées des actions pour faire connaître producteurs locaux, circuits courts et autres initiatives locales. Aujourd’hui, d’autres acteurs ont rejoint la Semaine, tels que les Incroyables comestibles.

Un livre qui pousse à l’action collective et locale.

« Ils changent le monde ! 1001 initiatives de transition écologique » de Rob Hopkins
Editions Seuil
14 euros




mardi 30 décembre 2014

Opération Corréa : Les ânes ont soif

Film à voir en libre accès sur internet


Appel à dons

OPÉRATION CORREA
1re partie : Les ânes ont soif

un film de Pierre Carles avec la collaboration de Nina Faure et Aurore Van Opstal

L’Equateur dirigé depuis 2007 par le président de gauche Rafael Correa propose des solutions originales à la crise économique, sociale et environnementale. Pierre Carles et son équipe s’apprêtent à prendre leur poncho et leur sac à dos pour aller voir à quoi ressemble le « miracle équatorien » boudé et ignoré par la presse française. La 1° partie de ce feuilleton documentaire est d’ores et déjà proposée en accès libre sur internet. Objectif : inciter les internautes à financer la suite de l’enquête outre-Atlantique, la faire circuler en 2015 et ainsi de suite... Trois ou quatre épisodes devraient voir le jour d’ici l’élection présidentielle française de 2017.

Soutenez le projet

Vous pouvez faire un don via votre compte Paypal, ou par carte bancaire, ou par chèque à l’ordre de C-P Productions à cette adresse : C-P Productions, 9, rue du Jeu de Ballon, 34000 Montpellier. Pour un virement bancaire nous contacter pour recevoir un RIB Contact
Total des dons reçus :
La visite en France d’un champion de la croissance économique passe rarement inaperçue, même lorsqu’elle ne présente qu’un intérêt médiocre. Un serrage de louches sur le perron de l’Elysée avec un président chinois ou une chancelière allemande rameute à coup sûr le ban et l’arrière-ban des troupes journalistiques. Pourquoi alors la presse hexagonale a-t-elle boudé le dernier séjour à Paris de Rafael Correa ?
Le 6 novembre 2013, le président équatorien était à la Sorbonne pour décrire le modèle économique en train de s’inventer dans son pays, en insolente rupture avec le dogme de l’austérité et de l’inféodation à la finance auquel les dirigeants européens veulent condamner leurs ouailles. En choisissant de ne pas obéir au FMI et d’imposer une renégociation de sa dette dans des conditions acceptables, l’Équateur, petit pays d’Amérique du Sud, aux prises avec des difficultés sans commune mesure avec celles que peut connaître la puissante Union européenne, s’est sorti par le haut du pétrin dans lequel il s’enfonçait. Pas de coupes dans les dépenses publiques, mais des programmes de redistribution qui ont fait chuter le taux d’extrême pauvreté de 16,9 % à 8,6 % au cours des six dernières années. Pas de dépouillement des droits sociaux par un patronat tout-puissant, mais des investissements publics dans les infrastructures et un taux de croissance (4,5 %) parmi les plus élevés d’Amérique latine. Tout n’est pas rose dans le bilan de Rafael Correa, mais au moins le président équatorien représente-t-il une preuve bien vivante que la politique du bulldozer contre les pauvres adoptée en Europe n’est pas nécessairement la seule envisageable.

On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif

Peu de grands médias français – à l’exception du Monde diplomatique et de quelques journaux de presse écrite - ont prêté attention à la visite du président équatorien. Aucune chaîne de télévision ni radio nationale n’a repris le message qu’il souhaitait adresser aux populations européennes : ne faites pas la folie de vous plier aux injonctions des banques, regardez comment l’austérité qu’elles vous infligent aujourd’hui a failli ruiner notre pays par le passé, et comment nous nous en sommes relevés en faisant tout le contraire. Pareil avertissement est-il sans valeur pour le public français ? « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif », a chuinté Ivan Levaï, vétéran chez France Inter, quand les comparses de Pierre Carles ont commencé à enquêter sur la question. Mais qui sont les ânes ? Et comment redonner soif à une presse goulument ravitaillée dans l’abreuvoir des experts du CAC 40 ?
Après Pas vu pas pris, Enfin pris ?, Fin de concession et Hollande, DSK, etc, Pierre Carles et son équipe poursuivent leur critique radicale des médias. Ils se proposent à présent d’explorer la question du traitement de l’hérésie équatorienne dans la presse française. Il s’agira bien sûr de confronter la chefferie éditoriale à ses choix idéologiques, et de comprendre par quel enchantement l’impasse borgne et insalubre du monétarisme européen se présente à elle comme un horizon indépassable. Il s’agira aussi d’enquêter sur place, en Équateur, afin d’élucider ce que le journal d’affaires colombien Dinero (« argent ») qualifie avec incrédulité de « miracle économique ». L’alternative qui se joue là-bas est-elle un simple mirage ou alors un modèle susceptible d’allumer quelques flammèches à notre horizon ?

La bourse ou la vie

Mais l’exploration journalistique coûte de l’argent. Pour achever le tournage du prochain épisode d’Opération Correa, nous devons réunir au moins 25 000 euros. La somme peut paraître confortable, elle est pourtant dérisoire au regard du budget « normal » d’un documentaire grand public : à ce prix-là, nous n’irions pas loin sans l’expérience, l’implication et l’inventivité de chaque membre de notre collectif. Grâce à votre participation financière, nous pourrons finir d’arpenter les salles de rédaction parisiennes et mener nos propres investigations dans ce pays étrange qui les intéresse si peu. Une fois en boîte avec votre aide, le deuxième épisode du film sera lui aussi librement accessible sur Internet, en streaming et P2P, pour que le public s’en empare et le fasse vivre hors des clous de l’information industrielle.

Action !

Dans ce nouveau projet, il y a l’idée de reproduire ce qu’on peut appeler le cinéma d’enquête et d’action dans lequel vous-mêmes êtes conviés à participer, voire à donner... de votre personne. Si vous êtes en colère contre des médias de masse si peu pluralistes, si vous croyez au pouvoir du cinéma documentaire, si vous avez envie de vous investir pour propager un message de contestation qui ne demande qu’à grandir, soutenir Opération Correa est un moyen de rejoindre une aventure politique qui promet d’être enthousiasmante, réflexive et drôle. Avec cette nouvelle enquête, vous participez à un travail inédit et à la mise en cinéma d’une réelle proposition.

OPÉRATION CORREA
Un film de Pierre Carles
Interviews : Aurore Van Opstal, Nina Faure, Brice Gravelle, Julien Brygo
Images et son : Pablo Girault, Martin Khalili, Nicolas Mas, Hugues Peyret, David Rit
Scénario, montage et réalisation : Pierre Carles
Conseillers/ères montage : Corinne Billard, Gilles Bour, Matthieu Parmentier, Ludovic Raynaud
Production : Annie Gonzalez, C-P Productions
Avec la participation plus ou moins volontaire de Christophe Barbier, Agnès Bonfillon, Yves Calvi, Thomas Legrand, Elisabeth Quin, Frédéric Taddeï, Alban Ventura, Ivan Levaï... et les interventions de Rafael Correa, Patrick Bèle, Maurice Lemoine, Mylene Sauloy.
Remerciements à Folimage pour l’extrait du film d’animation « Mon âne »
(réalisation : Pascal Le Nôtre - 1994)
et à Maxime Brandely pour la retranscription

« On risque de faire disparaître en deux siècles autant d’espèces qu’en un million d’années » Michel Loreau

« On risque de faire disparaître en deux siècles autant d’espèces qu’en un million d’années »


« On risque de faire disparaître en deux siècles autant d'espèces qu'en un million d'années »
(Le quagga, une sous-espèce de zèbre d'Afrique du Sud, a disparu au XIXe siècle. Crédit photo : DR)
 
Interview - Des espèces qui disparaissent 1 000 voire 10 000 fois plus vite que dans le passé… La sixième extinction de masse est engagée, et c'est l'homme qui en est responsable, souligne Michel Loreau, directeur de recherche en écologie.
Le Baromètre de cet article






Michel Loreau est directeur de recherche en écologie au CNRS et coauteur de Biodiversité, vers une sixième extinction de masse [1].

Terra eco : Comment définit-on une extinction de masse ?

Michel Loreau : Il y a des extinctions tout le temps, mais il y a des périodes où le taux d’extinction est plus fort, souvent en corrélation avec des phénomènes physiques, comme une activité volcanique importante ou une météorite tombée sur la Terre. En temps normal, 25% des espèces disparaissent en moyenne sur une période « courte » d’un million d’années. Pour parler d’extinction de masse, il faut une extinction de 75% des espèces sur cette même durée.

Quelle est la différence entre cette sixième extinction et les autres, recensées au cours de l’histoire ?

C’est un cas très différent. Les extinctions que l’on peut détecter à partir des données fossiles sont dues – comme je vous l’expliquais – à des phénomènes physiques. Cette fois-ci, c’est la première fois qu’une extinction est causée par une des espèces du système Terre : l’homme. C’est aussi ce qui explique sa vitesse. L’impact de l’homme est tel que l’échelle de temps est nettement plus courte. On ne compte pas cette extinction sur un million d’années, mais sur des centaines voire des dizaines d’années. Le taux d’extinction est mille fois plus important aujourd’hui que le taux de base (de 25% sur un million d’années, ndlr) et ça ne fait que s’accélérer. On prévoit même pour le XXIe siècle, un taux 10 000 fois supérieur au taux de base. Si on arrive à cela, on aura fait disparaître en deux-cents ans presque autant d’espèces qu’en un million d’années dans le passé !

Vous parlez de l’impact de l’homme sur ces espèces. Comment se définit-il ?

La principale cause de la disparition d’espèces, c’est la destruction des habitats qui les abritent, par exemple, la conversion de forêts en zones agricoles, la canalisation des rivières… La deuxième cause, c’est l’invasion biologique : des espèces sont introduites par l’homme volontairement ou involontairement. On sait, par exemple, qu’avec la colonisation des îles du Pacifique les chiens, les chats, les rats ont été des facteurs de destruction. La troisième cause d’extinction, c’est la surexploitation des ressources par l’homme. Le quatrième facteur, c’est la pollution. Mais celui-ci affecte moins les espèces globalement. Pour qu’il y ait extinction totale, il faut que tous les individus de toutes les populations d’une espèce meurent. Or, si elle agit localement, la pollution n’entraîne pas une extinction totale à l’échelle globale. Reste l’impact du changement climatique. C’est un phénomène assez récent, pour lequel nous n’avons pas encore de données réelles. Mais les projections sont catastrophiques. Si le changement climatique se passe tel que les scientifiques le prévoient, d’ici à la fin du siècle, on aura une disparition de 10% à 30% des espèces, juste à cause de ce dérèglement. Evidemment, ce sont des projections qui reposent sur des hypothèses. Notamment celle selon laquelle les espèces ne s’adapteraient pas beaucoup. L’adaptation est un processus lent, même si on a quelques exemples d’adaptation rapide. Je ne vois pas comment les espèces pourraient être capables de s’adapter en un temps très court.

Si pour parler d’extinction, il faut que tous les individus d’une espèce aient disparu, c’est plutôt difficile à prouver, non ?

Oui, c’est pour cela que les extinctions réellement avérées sont finalement assez peu nombreuses. Les critères sont stricts. Pour parler d’extinction, il faut qu’aucun individu de l’espèce n’ait été vu pendant soixante ans. Ainsi, si la vitesse des extinctions s’accélère et qu’il faut attendre soixante ans, on aura un problème pour estimer le taux réel. C’est d’autant plus vrai que nous ne disposons de données fiables que pour les oiseaux, les mammifères, quelques vertébrés, les plantes de grande taille ou encore quelques gros insectes, comme les papillons ou les libellules. Pour le reste, nous en manquons. Simplement parce que nous ne connaissons l’existence que de 10% des espèces sur la Terre. Et là, je vous parle de celles qu’on a décrites et nommées. Si on ne parle que de celles que l’on connaît vraiment, on tombe à 1% des espèces existantes. Mesurer les extinctions est donc avant tout une estimation statistique. Evidemment, ce manque de connaissance joue au détriment des espèces qui partagent la Terre avec nous. Comment protéger des espèces que l’on ne connaît même pas ? A la limite, on pourrait les laisser se déliter sans mesurer les conséquences d’une telle disparition.

Vous parlez de conséquences. Quels sont justement les services rendus par cette biodiversité ?

Ils sont de plusieurs types, dont certains sont reconnus depuis plus longtemps que d’autres. Le premier, c’est l’utilisation de la biodiversité sous forme de ressources, de nourriture ou de médicaments. A l’heure actuelle, 25 000 espèces de plantes sont utilisées à des fins médicinales, notamment contre le cancer, les infections… Même si les molécules sont synthétiques et développées en laboratoire, elles ont souvent été découvertes dans la nature. Ce sont des molécules complexes, qu’on ne découvrirait pas par hasard. Le deuxième argument est esthétique, éthique ou religieux, selon les cas. C’est le service non utilitaire rendu par la nature. C’est très important. Cet aspect émotionnel, c’est ce qui motive la plupart des gens qui font de la conservation. Il y a une explication évolutive à ça. Si on a évolué dans ce monde biodiversifié, ce n’est pas par hasard. Mais c’est un attachement difficile à quantifier, sur lequel des économistes essayent de mettre des chiffres, ce qui n’est pas toujours sans poser de problèmes. Le troisième argument – plus récent –, c’est la valeur écologique de la biodiversité. Elle n’est pas juste un ornement, mais fait partie intégrante du fonctionnement du système naturel. Quand on enlève une espèce, l’écosystème est moins productif, le sol recycle, par exemple, moins de nutriments, il devient moins fertile. En prélevant une espèce, on risque aussi de supprimer la capacité des systèmes à faire face à un environnement changeant : les fluctuations du climat, la pollution par l’azote… Différentes espèces réagissent différemment à un bouleversement. Si elles manquent dans le système, le système réagit moins bien.

Quand vous parlez d’un système moins productif, vous parlez des sols agricoles ?

Oui, notamment. Nous savons, par exemple, qu’un système de prairies diversifié est plus productif. Ça semble contradictoire avec l’agriculture moderne. Mais celle-ci fonctionne grâce à l’ajout de fertilisants, de pesticides, ce qui entraîne d’autres problèmes. Surtout, elle fonctionne à condition que l’on s’intéresse à un seul produit : à la croissance des grains de blé dans un champ de blé, par exemple. En préservant la biodiversité, en revanche, on peut augmenter la productivité totale. Dans l’agriculture traditionnelle telle qu’elle est encore pratiquée dans certains pays, on utilise encore des mélanges d’espèces. C’est le principe de l’agroforesterie, composée d’arbres et de plantes herbacées. On obtient alors deux champs en un, aussi productifs que deux champs distincts.

Comment expliquez-vous le peu d’attention médiatique (et politique) accordée au problème de la disparition de la biodiversité ? Est-ce à cause du manque de données que vous évoquiez ?

C’est sûr qu’on manque de données. Et que, si on avait de meilleures données, on aurait de meilleures mesures d’adaptation ou de mitigation. Mais il ne faut pas non plus se voiler la face. On a l’essentiel des données nécessaires pour se rendre compte qu’il faut faire quelque chose. Qualitativement, on sait ce qui se passe. On sait que l’extinction est due à l’activité humaine. On sait même par quels facteurs. Les climatologues ont mis vingt ans à faire parler d’eux. C’est normal qu’ils soient en avance aujourd’hui. Et puis le changement climatique commence à se faire sentir. Pour la biodiversité, la communauté est plus diversifiée et difficile à structurer. C’est plus complexe que pour le climat. Et les conséquences de la perte de biodiversité se voient moins et à plus long terme.
[1] Biodiversité, vers une sixième extinction de masse, de Raphael Billé, Virginie Maris, Philippe Cury et Michel Loreau (La ville brûle, 2014).

Marie Monique Robin : Sacrée croissance

Marie-Monique Robin : « Dénoncer n’est plus suffisant, il faut proposer des alternatives »


Marie-Monique Robin : « Dénoncer n'est plus suffisant, il faut proposer des alternatives »
(Crédit photo : DR)
 
Interview - Dans son nouveau livre, « Sacrée croissance ! », la journaliste nous projette vingt ans en avant, au cœur d'une société post-croissance qui a réussi l'impensable : éviter l'effondrement de sa civilisation grâce à la transition.
Le Baromètre de cet article





Avec Sacrée croissance ! [1], Marie-Monique Robin offre un pendant complémentaire à son film du même nom diffusé sur Arte le 4 novembre voir notre brève chronique. Si elle garde pour cible la croissance et ses méfaits sur notre société, la journaliste-réalisatrice invente, pour cette version écrite, une uchronie. Nous voilà projetés en 2034, vingt ans après un (in)espéré sursaut médiatique et politique face à la menace du dérèglement climatique. Là se construit joyeusement une société post-croissance très largement inspirée des initiatives concrètes imaginées par des lanceurs d’avenir du début du XXIe siècle : agroécologie, villes en transition et monnaies locales

Terra eco : Depuis votre film précédent, Les Moissons du Futur, vous avez changé de ton. Des films-enquêtes qui dénonçaient des pratiques, vous êtes passée à la description d’alternatives positives. Pourquoi ?

Marie-Monique Robin : Il était temps de répondre à la question : « Peut-on faire autrement ? » C’est une question qu’on me posait souvent après que j’ai dénoncé le système agro-industriel (voir notamment Le monde selon Monsanto et Notre poison quotidien, ndlr). Avec Les Moissons du Futur, j’ai commencé à répondre à cette question. C’est aussi parce que je me suis vraiment rendu compte depuis quelques temps que nous étions à un tournant qui fait que… – comment dire ça sans paraître trop brutale – on va vers l’effondrement de la civilisation occidentale. Il y a le dérèglement climatique, le pic pétrolier, le pic gazier, etc. Je n’avais pas réalisé à quel point c’était largement engagé. J’ai beaucoup défendu les lanceurs d’alerte. Je continuerai de le faire. Mais vu l’urgence de la situation dans laquelle nous sommes, il est important aujourd’hui de soutenir les lanceurs d’avenir. Tous ces gens qui montrent un nouveau chemin.

Vous commencez votre nouveau film et votre nouveau livre par un constat économique…

Oui, je retrace l’histoire de la croissance, cette grande idéologie entretenue depuis l’ère industrielle jusqu’à nos jours. Comment en est-on arrivé à ce dogme puissant qui fait que tous les matins vous allumez la radio et on vous dit : « La croissance va revenir, la croissance, la croissance… » ? Je raconte pourquoi c’est une impasse, pourquoi elle ne reviendra pas, la croissance, et quelles sont les alternatives qui formeront la société post-croissance.

Je rends hommage à tous ceux qui ont lancé le mouvement de la décroissance, parce qu’ils ont été très courageux de le faire à un moment où c’était vraiment tabou. Mais si on veut rallier plus de gens, ne disons pas « décroissance ». Ça évoque l’austérité, les sacrifices. Non, la société post-croissance est désirable. Avec le « post », l’idée c’est de dire : « On passe à autre chose. La croissance n’a été qu’une parenthèse, une courte parenthèse finalement au regard de l’histoire de l’humanité. »

Vous dites qu’il faut une stabilisation de la croissance et, surtout, qu’il faut arrêter de se focaliser sur le PIB comme outil de mesure du développement ?

Il faut renouer avec la conception des classiques, ces économistes britanniques du XVIIIe et XIXe siècles : les Adam Smith, John Stuart Mill. Ces auteurs, je les ai lus pour la première fois de ma vie. Ils ont dès le départ considéré qu’il y aurait des limites au développement, que l’accroissement de la production servait à atteindre un certain niveau de bien-être pour le peuple souverain, mais qu’il fallait ensuite tendre vers un état stationnaire. Les néoclassiques – qui continuent d’inspirer tous les économistes contemporains – ont manipulé cette pensée. Si les économistes classiques considéraient qu’il y a trois facteurs à la production : la terre – au sens large de ressources –, le capital et le travail, pour les néoclassiques, il n’y a plus que le capital et le travail. Pour eux, on peut substituer les ressources par autre chose : du capital, de la technologie, etc.

On comprend mieux comment on est arrivés à un système qui ne prend plus en compte les ressources, les hommes… C’est ce qui se passe avec le PIB. Un naufrage au large des côtes de Bretagne, c’est bon pour le PIB, parce qu’il va falloir décontaminer, nettoyer, etc. Alors que tous les bénévoles qui viennent donner un coup de main ne sont pas comptabilisés. Le PIB, c’est un outil. Il peut continuer à exister, mais pas tout seul. Il nous mène dans l’impasse. Tant qu’on ne tiendra pas compte du patrimoine naturel, social, on ira vers l’épuisement des ressources. Il y aura de plus en plus de déchets, de chômage, de plus en plus de pauvres…

Vous construisez votre société post-croissance fictive autour d’initiatives qui existent déjà. Mais vous dites aussi que ces initiatives ne sauraient se passer d’un Etat fort.

Oui, des initiatives locales montrent déjà aujourd’hui ce que pourraient être les vertus de cette société post-croissance. Une société basée sur la relocalisation des consommations et des productions, notamment dans le domaine de l’alimentation. Basée aussi sur la relocalisation de la production énergétique à travers une démarche de service et enfin fondée sur la relocalisation de l’argent, à travers l’expérience des monnaies locales. Voilà les trois piliers de cette société post-croissance dans laquelle les humains échangeraient plus, répareraient les objets… C’est une société du prendre soin. Evidemment cette transition est déjà beaucoup à l’œuvre du point de vue local, mais il faut qu’elle soit plus large que ça. On a besoin d’un Etat qui mette des moyens, qui fasse les bons investissements. Pour la rénovation thermique, c’est beaucoup mieux d’avoir un dispositif qui l’accompagne plutôt que de se battre tout seul dans son coin pour y arriver. En clair, on a besoin d’un Etat qui joue son rôle et qui soit plus fort qu’aujourd’hui.

Et le seul Etat qui, selon vous, remplisse ces conditions, c’est le Bhoutan !

Pourquoi eux ? Quand on le demande aux experts qui ont participé au rapport remis par le Bhoutan aux Nations unies [2] – les Tim Jackson, Richard Heinberg, William Rees qu’on voit dans mon film –, ils répondent : « C’est parce qu’ils ont un roi très éclairé ». L’avantage du roi dans ce cas-là, c’est qu’il n’est pas tenu par sa réélection, il a une vision pour son pays, pour son peuple. Le problème des politiques actuels, c’est qu’ils n’ont pas de vision. Ne penser qu’à sa réélection, ça ne permet pas de faire la transition. Moi, si j’ai choisi la date de 2034 dans mon livre, c’est parce qu’il faut vingt ans pour planifier. On ne va pas, du jour au lendemain, émettre zéro gaz à effet de serre, réduire l’industrie automobile ou l’agroalimentaire à leur portion congrue. On ne peut pas tout transformer d’un coup sans risquer la rupture d’approvisionnement. Or, personne dans le système politique actuel ne prendra des mesures qui auront un effet dans vingt ans. Notre système est basé sur la courte vue.

Les décisions pourraient peut-être mieux fonctionner à un niveau supranational. Les Conférences internationales sur le climat organisées sous l’égide de l’ONU, les fameuses COP, sont faites pour ça, pour aller au delà du mandat électoral…

Oui, mais il y a une forte offensive sur l’ONU actuellement. Tous les rapports – sur l’agroécologie, le climat, le développement – sont là, mais ça piétine. Les multinationales ne lâchent pas. Pourtant, ces patrons de multinationales, ils ont des enfants comme moi. Comment pensent-ils qu’ils éviteront l’effondrement ? Ils sont tellement dans la vision à court terme qu’ils vivent dans une bulle.

C’est intéressant de voir qu’il y a une constante dans toutes les civilisations qui se sont effondrées, aussi bien l’île de Pâques, les Mayas, les Assyriens… La constante, c’est la survenue d’un problème climatique grave – une grande sécheresse en général, sur plusieurs décennies –, puis un problème de destruction de l’environnement et enfin un souci avec des élites trop dans le paraître, le bling-bling. Sur l’île de Pâques, ils ont abattu tous les arbres parce qu’il fallait des rondins pour transporter des statues de plus en plus grandes pour leurs chefs de clan. Les Mayas, ils passaient leur temps à guerroyer et à construire des palais magnifiques. Ils n’ont pas vu que la sécheresse menaçait. Ils avaient des élites à côté de la plaque. Aujourd’hui, c’est pareil. Nous sommes dans un système où on a un grave problème climatique et des élites à côté de la plaque, vraiment.

Une conférence comme celle qui doit se tenir l’an prochain sur le climat à Paris, ça a quand même du sens, selon vous ?

Bien sûr. Si j’ai décidé de me balader avec mon film partout et d’encourager les gens, c’est parce que je veux vraiment que ça bouge. Il faut qu’on fasse pression pour que cette conférence ne reproduise pas ce qui s’est passé à Copenhague (en 2009, ndlr). On va vers l’effondrement s’il se passe rien, sérieusement et rapidement. Ce qui se prépare est terrible. Et pas dans trois mille ans. Même moi qui ai 54 ans, si je vis encore vingt ou trente ans, je vais le voir, mes enfants vont le voir. Il faut des accord internationaux. Il faut un signal politique international qui dise : « Arrêtons ! ».

OGM, agroécologie, changement climatique, à chaque fois, on a l’impression que, quand vous vous saisissez d’un sujet, vous lisez tout sur tout…

C’est mon rôle de journaliste. C’est comme ça que je le vois. Je suis une passeuse, moi. Pour me faire un avis sur le changement climatique, il faut que je lise 200 ou 300 études, sinon je n’ai pas d’avis sur la question. Si Albert Londres était là aujourd’hui et voyait comment l’humanité a été capable de transformer la délicate chimie de l’atmosphère, de l’océan, il dirait : « La plume dans la plaie, oui, mais maintenant, il faut surtout montrer comment faire autrement ». Dénoncer, ce n’est plus suffisant. Il nous incombe à nous, journalistes – n’oubliez pas qu’on est le quatrième pouvoir –, de faire en sorte qu’on n’aille pas vers l’effondrement. Quand j’ai commencé il y a trente ans, je voulais changer le monde, mais je pensais que ce serait pour dans trois mille ans. Jamais je n’aurais imaginé que ce serait pour mes enfants. Jamais.

A lire aussi sur Terraeco.net : « Marie-Monique Robin, la machine à décrire »
[1] Sacrée croissance ! (La Découverte2014)
[2] Le rapport « Le bonheur, vers un nouveau paradigme de développement » a été remis aux Nations unies en décembre 2013

Lettre publique : bonne année 2015 dans la construction de réseaux fraternels


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Lettre publique : bonne année 2015 dans la construction de réseaux fraternels 
 
Chères amies, chers amis ,
En toute nouvelle année , il est de tradition de se souhaiter des vœux de santé et de multiples réussites . Nous sommes toutefois confrontés à cette réalité, de nombreux dangers nous guettent individuellement sur une planète en pleine tourmente selon les uns , en pleine mutation selon les autres et, dans tous les cas, de nombreux défis restent à relever si ensemble nous voulons que nos vœux se réalisent en 2015.
Le bien vivre ensemble reste la base solide pour les intérêts communs de notre société, toutefois ce vœu ne pourra se réaliser qu'avec le courage intérieur de tenir compte d' une gouvernance inadaptée à anticiper une transition économique qui éviterait le développement des problèmes sociaux à venir. Sans la dynamique de faire remonter les contradictions, conséquences des injustices d'une pensée mal équilibrée montant d'un manque de reconnaissance de l'être humain dans sa globalité , ce bien vivre risque de rester entre le pouvoir de la financiarisation.
Les accords commerciaux entre les USA et l'Europe ( TAFTA ) ne sont-ils pas à l'origine de la multiplication , malgré la dette publique, des grands projets pas utiles pour le plus grand nombre de nos concitoyens ?
Nos territoires se dégradent et la France ne peut être détruite sous l'emprise des finances étrangères .....

"La fin du XXe siècle, c'est la liquidation du monde pour fabriquer de la richesse" voir la vidéo  de Hervé Juvin :

Lien en pays d'OC vous propose de participer à une année orientée dans une dynamique de coopération, de co-construction. En s'appuyant sur la reconnaissance des acquis de ceux qui n'ont pas le pouvoir suprême de la grande décision politique mais qui reste indispensable pour porter durablement : la dynamique de l'être humain vivable à la base de notre société.
La révolution commence dans l'assiette. Gaspillage alimentaire et gaspillage démocratique : quel rapport et quel lien ?
Pour une co-construction de l'éducation à la démocratie alimentaire: l'association Lien en Pays d'OC s'appuie sur l'engagement de chacun pour une économie d'existence.  http://www.lienenpaysdoc.com/
J'aime Association lien en Pays d'OC sur facebook
Pour tous ceux qui continuent à penser que l'intelligence supérieure doit passer par les compétences et les diplômes . Le témoignage d'André Stern - Je ne suis jamais allé à l'école

De la nécessité de changer notre système éducatif : comment aider nos enfant à révéler leur talent ?

Ken Robinson est un expert de l’éducation et des systèmes éducatifs reconnu mondialement. Il a écrit de nombreux livres et présenté de nombreuses conférences sur le sujet de la créativité et de l’innovation.Son livre Quand trouver sa voie peut tout changer !
Cordialement
René Chaboy
tél 05 63 67 02 36
site
http://www.lienenpaysdoc.com/
Merci à tous nos correspondants actifs sur le net qui ont permis la réalisation de cette lettre .
Vous pouvez les rencontrer dans ces groupes
Un autre monde est possible et indispensable https://www.facebook.com/groups/421004381276693/
Consommer, semer et entreprendre librement sur nos territoires
Association lien en Pays d'OC
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samedi 20 décembre 2014

Reporterre : À la ZAD du Testet, on n’oublie pas l’essentiel : on sème

À la ZAD du Testet, on n’oublie pas l’essentiel : on sème

Grégory Souchay (Reporterre)
lundi 8 décembre 2014
Libérés de la menace policière et des bulldozers, les occupants de la zone humide du Testet ne ménagent pas leurs efforts pour faire revivre les lieux. Si la saison se prête plus à la construction de cabanes et de maisons en vue de passer l’hiver au chaud, certains préparent la production agricole.

- Toulouse, correspondance
Petof raconte : « On avait déjà fait des buttes de permaculture au printemps dernier mais avec la présence policière constante ces derniers mois, elles avaient été abandonnées ». C’est avec la manifestation du dimanche 2 novembre, pacifique et apaisée en hommage à Rémi, qu’a démarré la replantation de la zone. Ce jour-là circulent des plants de groseilles, cassis, framboises et pommiers pour former une haie délimitant les 600 mètres carrés d’espace agricole.

Produire pour alimenter la boulangerie
Helios coordonne les activités jardinières sur la zone. « Je faisais du woofing, pour apprendre le métier chez des professionnels. Pour l’instant, ici, c’est surtout des coups de main ponctuels ». Mais les projets sont déjà là : « On prépare les buttes pour des plantations au printemps. Et puis on est en train d’imaginer une organisation en agroforesterie où les arbres cohabitent avec des cultures ».
Pour ces activités, ils bénéficient du soutien du collectif La Fontié, une ferme communautaire gérée en SCI, située à proximité de Graulhet, déjà rencontrée lors de la transhumance des moutons qui avait précédé le rassemblement du 25 octobre.

L’objectif global c’est de « planter des variétés de blé ancien à la volée, puis travailler la terre en traction animale et utiliser cette production pour alimenter la boulangerie qui existe déjà sur la zone ». Le jardin est situé sur les parcelles attenantes à la Métairie Neuve, ce qui l’exclut de la zone du chantier et le préserve d’hypothétiques expulsions.
Mais la question centrale reste l’usage de l’eau. Comme pour tout, le sujet est ici mis en discussion. Helios admet « ne pas avoir de problème à utiliser de l’eau de la source pour alimenter des cultures vivrières. Mais la question fait toujours débat. » La veille, en assemblée générale, certains critiquaient cette vision, proposant plutôt « d’utiliser l’espace comme terrain d’expérimentation pour des pratiques agricoles sans irrigation ».
Créer des liens avec l’extérieur
Mais l’objectif est également de créer des ponts avec l’extérieur, à commencer par les agriculteurs alentours. « De manière informelle, nous allons à la rencontre d’autres producteurs, pour apprendre avec eux, s’appuyer sur ce qu’ils font, comme ce permaculteur qui travaille sur 8.000 m² en aval ».

D’autres envisagent de travailler avec l’association Pétanielle, basée à Graulhet, qui fait partie du mouvement informel des « Semeurs et Semeuses de la Biodiversité des Jardins et des Champs » et tente de préserver la diversité des semences et des variétés paysannes.
Ce projet agricole est indissociable du reste des activités de la ZAD comme l’explique Petof : « L’ambiance est très bonne. Nous sommes une centaine au moins et tout le monde se défonce pour construire, faire vivre les lieux ».
Lui voit déjà « la Métairie Neuve devenir un lieu culturel, de partage des savoirs » et avertit : « Tu verras, dans quinze jours, ce sera chauffé, avec des fenêtres et on aura doublé la surface habitable ».

Source : Grégoire Souchay pour Reporterre
Photos : Isa.
Lire aussi : La Zad n’est qu’un commencement

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Reporterre : Le projet absurde qui détruirait la baie de Fort-de-France

Le projet absurde qui détruirait la baie de Fort-de-France

Assaupamar
jeudi 11 décembre 2014
En Martinique, la baie de Fort-de-France, à la biodiversité exceptionnelle, est menacée par le projet d’extension du port actuel, pourtant sous-utilisé. Un projet absurde qui va à l’encontre des avis défavorables des commissions environnementales et qui avance sans aucune consultation, le débat public ayant été escamoté. Les associations et les citoyens sont mobilisés.

Pour étendre le port de Fort-de-France, les autorités projettent de draguer 380 000 m3 de boues polluées et de se fournir en 800 000 m3 de matériaux de remblai. Pour ce faire, ils ont opté pour la création d’une mangrove artificielle pour confiner 300 000 m3 de ces boues polluées et le clapage au large du reste. Pour se procurer du remblai, ils ont carrément décider de détruire et concasser les récifs coralliens les plus proches !
Une biodiversité remarquable
C’est en apprenant la destruction programmée de 13 hectares de récifs coralliens sur la caye de la Grande Sèche que la Communauté d’agglomération des communes du Centre de la Martinique a mandaté un groupe de l’Université des Antilles pour qu’elle démarre en urgence un inventaire rapide de la biodiversité sur ce site que l’on dit dégradé.

- Une opération de dragage dans un port à l’est du Morbihan -
Les chercheurs furent surpris par leurs découvertes : 386 espèces différentes, parmi lesquelles 37 espèces de coraux (77 % de la biodiversité des coraux de Martinique), dont trois espèces sont reconnues « vulnérables » et deux « en danger », par le classement UICN.
L’étude relève aussi la présence d’une espèce de zoanthaire inconnue à ce jour et d’une autre espèce « en danger », le mérou de Nassau (Epinephelus striatus), seul prédateur connu du Poisson Lion, animal invasif pour lequel l’éradication a été réclamée par les services de l’Etat.
« La baie de Fort-de-France présente des conditions très particulières, explique un chercheur, elle recueille l’eau saumâtre de trois mangroves. La présence d’espèces rares font de ses cayes [petite île basse principalement composée de sable et de corail, ndlr] qui les accueillent des biotopes uniques en Martinique ».
Des mesures compensatoires aberrantes
Évidemment, des mesures compensatoires ont été promises : une mangrove artificielle, le repérage et la transplantation de coraux et la création de coraux artificiels...
Une mangrove artificielle ? Selon les termes même du Président du Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM), « une mangrove se constitue et existe par les effets de flux et de reflux et en aucun cas ne pourrait empêcher les sédiments pollués de s’évacuer dans la baie », et il ajoute que ces sédiments pollués « risqueraient de se retrouver dans le périmètre concerné par un projet de réserve naturelle ».

De plus, la création de mangrove artificielle n’est qu’au stade de l’expérimentation, celle promise dans la commune du Marin n’a d’ailleurs jamais vu le jour...
Transplanter des coraux ? Les coraux caribéens sont généralement caractérisés par une croissance très lente entre 0,3 et 1,2 cm/an. Les massifs coralliens dont il est question sont multiséculaires et pèsent plusieurs tonnes. Ces structures sont le résultat d’une construction minutieuse dans des conditions spécifiques. Ils ne sont donc pas transplantables…
Des coraux artificiels ? Dans quelle mesure des constructions en béton peuvent-elles se substituer à des constructions coralliennes pour abriter une biodiversité si spécifique ?
Une démarche douteuse
Quant à la démarche adoptée pour ce projet, elle est discutable à plus d’un titre. L’étude d’impact fait état d’une caye dégradée n’abritant qu’une seule espèce « vulnérable » ; cette observation est très éloignée des résultats obtenus par les chercheurs de l’Université.

Par ailleurs, elle comporte beaucoup d’insuffisances (fiabilité des données en courantologie, absence d’étude sédimentologique...) pointées dans un avis très critique rendu par l’Autorité Environnementale.
L’Agence Régionale de la Santé a rendu un avis défavorable au motif que le dossier n’apportait pas d’« éléments d’appréciation suffisants ». Et enfin, dans son avis, l’Office de l’Eau rappelle que les projets détériorant la qualité des masses d’eau, ce qui est le cas de ce projet, doivent faire l’objet d’un dossier Projet d’Intérêt Général, tout en précisant que « l’inscription d’un projet, à ce titre, réclame par conséquent de disposer d’arguments sérieux ». Ce projet dispose-t-il d’arguments solides ?
Le débat public a été escamoté ; la grande majorité des élus interrogés par le Collectif n’était pas informée du projet, même son de cloche au niveau des associations, le registre d’enquête publique est vierge... Et bien qu’il soit question de coraux, l’Initiative Française pour les Récifs Coralliens (lFRECOR) n’a pas été consultée, le PNRM non plus, contrairement à ce qu’a affirmé le Préfet dans un courrier adressé à l’ASSAUPAMAR, ces propos ont donné lieu à un vif démenti du Président du PNRM.
C’est ainsi qu’en absence de réelle concertation, ni débat, et malgré les avis très critiques des organismes consultés, un arrêté préfectoral en octobre 2013 autorisa ces travaux.

Pourquoi donc agrandir de cette façon un port que tous savent sous-utilisé ? Dans une île en panne de développement, l’argument économique est automatiquement avancé. Pourtant, dans son avis, l’Autorité Environnementale, dont les questions économiques ne sont pas la spécialité, s’autorise à qualifier d’« irréalistes », les hypothèses sur lesquelles reposent les justifications économiques du projet.
Après le scandale du chlordécone, un pesticide particulièrement toxique et rémanent, la lutte contre l’épandage aérien, ce sont nos coraux qui sont menacés pour des raisons économiques contestables...
A l’heure où les politiques vantent l’« exception biologique et géologique » de la Martinique qu’ils espèrent faire inscrire au Patrimoine de l’Humanité, il serait temps d’allier le geste à la parole et faire de la préservation de l’environnement une priorité.

- Signer la Pétition en ligne
- Complément d’info : La requête en référé suspension déposée par l’ASSAUPAMAR concernant le projet d’extension du port de Fort-de-France sera étudiée par le Tribunal administratif de Fort-de-France le 6 janvier 2015.

Source : Courriel à Reporterre de l’Assaupamar
Photos : « Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de-France »
Ecouter aussi : Ségolène Royal est-elle devenue un organe consultatif ?

Reporterre : En Grèce, les capitalistes privatisent sauvagement la nature

En Grèce, les capitalistes privatisent sauvagement la nature

Marie Astier (Reporterre)
mercredi 10 décembre 2014
En Grèce, rien n’est réglé. Le pays est dans une crise économique profonde, la « troïka » demande encore plus d’efforts financiers au gouvernement, un jeune manifestant, Nikos Romanos, est en grève de la faim en prison depuis le 10 novembre. Pendant ce temps, plages, forêts, îles, tout est à vendre aux spéculateurs et aux millionnaires qui veulent leur coin privé.

- Athènes, reportage
Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? Une plage sur l’île de Rhodes ? Ou une propriété en bord de mer non loin de Thessalonique, reconnue pour sa « beauté naturelle » ? A moins que vous ne préfériez ce terrain entre mer et forêt à Corfou, une île qui accueille « plus de 700.000 touristes par an » ?
Voici quelques-uns des terrains disponibles dans le catalogue du TAIPED, ou « Fonds de mise en valeur du patrimoine privé de l’Etat ». Ce fonds est une compagnie privée, créée par l’État grec. Il y transfère toutes sortes de propriétés publiques : les ports régionaux et même le Pirée d’Athènes, les compagnies d’eau d’Athènes et de Thessalonique (les deux plus grandes du pays), les autoroutes, des sites culturels tels que des châteaux ou des lieux archéologiques, les trains publics, la Poste hellénique, les équipements olympiques datant des jeux de 2004… ou encore toutes sortes de terrains à travers la Grèce, de préférence des propriétés situées en bord de mer, idéales pour la construction de complexes touristiques.

- Capture d’écran le 9 décembre 2014 -
A vendre au plus offrant
N’importe qui peut-il acheter ce qui se trouve dans ce catalogue ? « Bien sûr, si vous avez l’argent ! », s’exclame Maria Karamanov. Conseillère d’État, elle préside aussi la Chambre pour l’environnement et le développement durable, une association de protection du patrimoine grec, culturel et naturel.
« Le gouvernement a l’opinion que toute propriété gouvernementale est une propriété à vendre. Le but du fonds est de vendre aussi vite que possible tous ces biens », déplore-t-elle. Des appels à investisseurs sont lancés pour chaque bien, qui est vendu au plus offrant. L’argent ainsi récolté va directement au paiement de la dette grecque, « un trou noir » pour Maria Karamanov, qui critique également le fonctionnement peu transparent de ce fonds. Les demandes d’interviews de Reporterre aux responsables en ont d’ailleurs été refusées.
Parmi les terrains en vente, celui de l’ancien aéroport d’Hellinikon, à quelques kilomètres du centre d’Athènes. A l’abandon depuis bientôt dix ans, la zone s’étend sur 3,5 kilomètres de côtes. Avant la crise, elle devait devenir un grand parc métropolitain, alors qu’Athènes est l’une des villes comptant le moins d’espaces verts en Europe.
Désormais, le terrain va être vendu à un fonds d’investissement, Lamda Development, dont les capitaux viennent d’Abu Dabi, de Chine et d’Europe. En projet, une marina de luxe pour touristes et des centres commerciaux, peut-être même une île artificielle. Le projet va ainsi privatiser tout un littoral très fréquenté des populations alentours.

- A Stratoni, en Chalcidique -
Golf et aéroport privé
Autre exemple à Corfou, une île déjà bien grignotée par les hôtels à touristes. Là-bas c’est une zone humide, lieu de passage des oiseaux migrateurs, qui est mise en vente. Les associations de protection de l’environnement soupçonnent un projet d’hôtel « classique ».
Mais ailleurs ce sont des villas de luxe, voire des villages privés avec golf et aéroport qui sont envisagés. « C’est la nouvelle tendance du tourisme en Grèce », déplore George Chasiostis, responsable juridique au WWF Grèce. Comme à Kyparisia, dans l’ouest du Péloponnèse. Sa plage est un lieu de reproduction pour les tortues de mer. Lundi, un avis du conseil de l’Europe enjoignait même la Grèce de protéger leur habitat.
« Investissements stratégiques »
Additionnées, les superficies de tous ces terrains ne représentent pas tant que cela. « Mais ce sont des zones très précieuses, précise George Chasiostis. Beaucoup sont des aires protégées : des zones Natura 2000 [comme à Corfou - NDLR], des forêts où des littoraux. »
Ainsi, il ne s’agit pas que de vendre ces terrains. Il faut aussi y faciliter la construction, normalement limitée dans ces zones sensibles. Ce programme de ventes s’accompagne d’un programme législatif.
Première étape, la loi dite d’« accélération et de transparence des investissements stratégiques », adoptée en 2010. Elle met en place une procédure spéciale, qui oblige les autorités à examiner certains dossiers d’investissement en priorité.
« Chaque investisseur est invité à présenter un programme d’aménagement pour la zone qu’il achète, explique Maria Karamanov. Cela l’autorise à faire beaucoup plus de choses que ce qui est normalement autorisé sur ces zones. Et les permissions sont données beaucoup plus rapidement par les ministères. »
« Construire sur une plage va devenir plus facile que de construire partout ailleurs en Grèce, c’est choquant ! », se lamente George Chasiostis.
Deuxième étape, les lois environnementales sont peu à peu modifiées. Votée cet été, la loi Forêt permet désormais de construire des hôtels ou des usines en forêt, ce qui était strictement limité auparavant. Autre recul, les terres brûlées étaient autrefois totalement protégées, afin de permettre à la forêt méditerranéenne de repousser. Désormais, on peut construire sur ces terres.
Privatisation des plages
Aussi proposée cet été, la loi Littoral a provoqué un tel tollé dans l’opinion qu’elle a été pour l’instant repoussée. Avant peut-être de repasser cet hiver, à un moment où l’on passe moins de temps à la plage…
Parmi les dispositions envisagées, permettre les constructions jusqu’à dix mètres du front de mer, alors qu’elles sont limitées à cinquante mètres pour l’instant. Mais surtout changer le statut juridique des littoraux : « Ils pourraient être achetés et vendus, cela serait comme une privatisation des plages », s’inquiète George Chasiostis.
Une aberration selon Maria Karamanov. « Les côtes ont toujours été protégées en Grèce parce que l’on considère que c’est un bien commun et que personne ne peut les vendre ou y construire comme il veut », explique-t-elle.
Si bien que selon elle, ces dispositions seraient mêmes inconstitutionnelles. L’article 24 du texte fondamental grec indique que « La protection de l’environnement naturel et culturel est une obligation de l’État et un droit de chacun », rappelle la juriste.
Mais peu importe aux politiques et aux investisseurs, déplore George Chasiostis : « Ils veulent se débarrasser de la législation environnementale car ils ne peuvent pas imaginer d’autre façon de développer le pays. »
« Je suis très inquiète pour mon pays », poursuit la conseillère d’État. Ce n’est pas la crise qui la préoccupe, car elle passera comme les autres selon elle. « Mais après, la Grèce n’aura plus rien à voir avec celle que l’on connaît aujourd’hui. Du point de vue culturel, environnemental, et même de nos modes de vie. Il y a des choses plus importantes que l’économie à préserver pour les générations futures », insiste-t-elle.

Terra Eco : Notre sélection DVD pour des fêtes sans se casser la tête

Notre sélection DVD pour des fêtes sans se 


Notre sélection DVD pour des fêtes sans se casser la tête
(Extraits d'« Ernest et Célestine ». Crédit photo : DR)
 
De belles histoires et d'autres plus rudes pour comprendre notre monde : voici notre choix pour un Noël malin devant votre petit écran.

-Ernest et Célestine
Les histoires de l’ours Ernest et de la souris Célestine, imaginées par la dessinatrice belge Gabrielle Vincent, ont marqué plus d’une enfance. Ce dessin animé reprend le meilleur de l’auteure, son tracé estompé, ses décors à l’aquarelle, la délicatesse qui nimbe l’univers d’Ernest et Célestine, et parvient à l’enrichir. Le scénario, signé Daniel Pennac, imagine la rencontre de ces deux marginaux exclus de sociétés qui se haïssent. Celle des ours, en surface, et celle des souris, civilisation souterraine. Loin du cocon enchanteur de Gabrielle Vincent, on découvre un monde plus sombre, où l’amitié entre une souris et un ours est passible de châtiments terribles. —
De Benjamin Renner, Vincent Patar et Stéphane Aubier. 1 dvd Studiocanal, 10 euros.

- Tom à la ferme
Pour assister aux funérailles de son petit ami, Tom, jeune publicitaire de Montréal, retourne à la campagne. Dans la maison, l’étable et les champs alentours se joue alors un huis clos entre violence et désir. En arrivant, Tom se confronte à la brutalité ambiguë du frère aîné, qui maintient la mère dans l’ignorance à propos de la sexualité de son fils défunt. Contraint de mentir sur sa relation, il se prend au jeu, réconforte la mère blessée, tourne autour du frère qui l’attire. La campagne, peuplée de figures violentes, esseulées et conservatrices, est le cadre parfait de ce thriller psychologique construit autour du désir mêlé de peur envers l’inconnu. —
De Xavier Dolan. 1 dvd MK2, 19,99 euros.

- Le Temps des grâces
S’il est un documentaire à voir pour comprendre la crise du monde agricole, c’est celui-là. Justement parce qu’il ne fait pas de la crise son objet central. A partir d’éléments du paysage – le bocage par exemple – et de regards croisés d’agriculteurs, mais aussi d’ingénieurs agronomes, de paysagistes, d’écrivains, il décrit les causes de l’uniformisation des campagnes, de l’épuisement des sols et des gens. Mais Le temps des grâces n’est pas un documentaire pessimiste. Il montre à quelles conditions, politiques essentiellement, la restauration du monde agricole est possible. —
De Dominique Marchais. 1 Dvd Capricci, 19 euros.

- Suite normande
Depuis quinze ans, Ariane Doublet réalise des variations sur le même thème, la vie des agriculteurs du pays de Caux, qu’elle filme en voisine, avec une complicité amusée. En 1999, l’éclipse totale de soleil est le prétexte pour une chronique de la vie des agriculteurs de Vattetot-sur-Mer, des terriens qui n’attendent pas les phénomènes naturels hors du commun pour observer les mouvements de la lune et prêter une attention particulière à leur environnement. Le style d’Ariane Doublet, enthousiaste et volubile, tranche avec la nostalgie qui habite souvent les documentaires sur le monde paysan. Cet hommage aux gens de la terre, cette suite joyeuse et entraînante raconte, l’air de rien, les transformations d’un monde en crise. —
D’Ariane Doublet, coffret 4 DVD Editions Montparnasse, 33,99 euros.

- La Fête sauvage
Avant la vogue des documentaires animaliers empathiques sur la fragilité du monde naturel, La Fête sauvage montre toute sa violence et sa beauté. La musique d u compositeur grec Vangelis rythme les mouvement des animaux (lions, bouquetins, flamants roses, frégates, etc.) qui évoluent comme les danseurs d’un opéra lyrique. Devant le spectacle de cette fête sauvage, nous sommes ramenés aux pulsions fondamentales du jeu, de l’amour et de la mort que l’homme garde en partage avec le monde animal dont il s’est arraché. —
De Frédéric Rossif, 1 dvd Editions Zoroastre, 24,99 euros.

- Se battre
Sur le ring, il pare les coups, les rend, remporte le combat. Les trophées d’Eddy, invaincu depuis plusieurs années, décorent la chambre du logement social dans lequel il vit avec ses deux parents, à Givors, une cité ouvrière de 20 000 habitants située dans la banlieue lyonnaise, touchée de plein fouet par la désindustrialisation. Ses combats ponctuent le documentaire, qui dépeint une galerie de portraits de Français incapables de boucler leurs fins de mois. Tous essaient de faire entendre le droit à la dignité, la valeur des échanges et des espaces gratuits. Bref, des principes fédérateurs pour lesquels on oublie qu’il est essentiel de se battre. —
De Jean-Pierre Duret et Andrea Santana, 1 dvd Blaq Out. 15 euros

Et aussi

Sacrée Croissance !, de Marie-Monique Robin. 1 DVD, Arte Editions, 15 euros
Les Chèvres de ma mère, de Sophie Audier. 1 DVD, Jour2fête, 26 euros
Sur la piste des Indiens des plaines, de Timothy Miller. 1 DVD, Editions Montparnasse, 15 euros
Made in France, de Benjamin Carle. 1 DVD, Editions Montparnasse, 15 euros
Le Bonheur… Terre promise, de Laurent Hasse/ 1 DVD, Docks 66, 15 euros
Minuscule : La Vallée des fourmis perdues, de Thomas Szabo et Hélène Giraud. 1 DVD, Editions Montparnasse, 15 euros
La Cour de Babel, de Julie Bertuccelli. 2 DVD, Pyramide Vidéo, 20 euros
Terre des Ours, de Guillaume Vincent. 1 DVD, Orange studio,18 euros

Pour faire grossir sa bulle, Center Parcs drague les pouvoirs publics

Pour faire grossir sa bulle, Center Parcs drague les pouvoirs publics

(Crédit photo : Wikimedia)
 
Enquête - Ce week-end, de nouvelles manifestations ont eu lieu à Roybon, dans l'Isère. Mais l'appétit du groupe Pierre et Vacances, derrière le projet, ne faiblit pas. Il prévoit même de « mailler tout le territoire ». Comment ? Explications.
Sur la place du village de Roybon, une banderole « Center Parcs, un avenir pour notre territoire » répond aux graffiti « Non au Center Parcs » qui longent les départementales iséroises. Chaque dimanche, des milliers d’habitants favorables au projet manifestent contre l’installation d’une ZAD (zone à défendre) par les opposants. Depuis que les tractopelles ont fait leur entrée, le 20 octobre dernier, dans la forêt des Chambarans, la paisible commune de 1 300 âmes est tiraillée.

Sous les projecteurs à cause de sa résonance avec Sivens, le projet de Roybon n’est pas une exception. Depuis le rachat du concept néerlandais de « tourisme nature » par Pierre et Vacances en 2001, les Center Parcs poussent comme des champignons sur le territoire français. De la Moselle à l’Eure, en passant par la Somme, l’Aisne et le Loire-et-Cher, cinq domaines accueillent déjà près d’un million de visiteurs chacun par an. D’ici à 2018, leur nombre devrait doubler. « Le principe de Center Parcs, c’est le tourisme de proximité. Nous ciblons les personnes qui vivent dans un rayon de 200 kilomètres, explique Jean-Michel Klotz, directeur général adjoint du groupe Pierre et Vacances. On en construit tous les deux ans jusqu’à ce que le territoire soit correctement maillé. » Prochaine ouverture : le Center Parcs des Trois-Moutiers, dans la Vienne où les cottages sont déjà sur pied. Puis viendront ceux de Saône et Loire et du Jura, où les enquêtes publiques sont sur le point d’être lancées. Si tout se passe selon les plans de l’entrepreneur, dans quatre ans, dix minivilles d’une capacité d’accueil de 2 000 à 5 600 vacanciers, seront installées sur un total de 2 085 hectares de forêts. Center Parcs occupera alors la superficie de la ville de Chambéry.

Gourmande en terre, la branche « écotourisme » de Pierre et Vacances l’est aussi en argent public. « Le groupe est un champion des montages financiers », souligne Philippe Debard, chargé de mission à l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) de Lorraine, auteur d’une étude sur l’implantation du Center Parcs du Domaine des Trois forêts en Moselle. « Cela peut paraître surprenant, mais ici, le Groupe n’a déboursé que 25% du coût total du projet. » Sa stratégie, un brin alambiquée, est bien huilée. Explications.

Etape 1 : chercher un territoire déshérité

Loudun, dans la Vienne ; Roybon, en Isère ; Poligny, dans le Jura… Qu’ont en commun les sites sur lesquels le groupe Pierre et Vacances décide de s’implanter ? « Leur environnement naturel et la proximité de la clientèle, explique Jean-Michel Klotz, chargé du développement au sein de Pierre et Vacances Center Parcs. On regarde la zone de chalandise, les axes d’accès ferroviaires et autoroutiers », énumère-t-il encore. En resserrant la focale, un autre point commun émerge : le déclin économique qui frappe ces bassins de vie. Dans le cas isérois, « on parle d’une zone extrêmement déshéritée, ni touristique comme dans les stations de montagne, ni industrielle comme à Grenoble, explique Christian Pichoud, vice-président du conseil général de l’Isère chargé de l’économie touristique et de la montagne. On est donc très heureux que le Center Parcs vienne rééquilibrer les choses. » Dans la Vienne, le bassin d’emploi concerné « vit surtout de la production de melon », explique Joël Pageot, responsable du Pôle emploi de Loudun. Dans le Jura, l’affinage de comté reste le secteur qui offre le plus de débouchés. En Moselle, le territoire périclite depuis que l’usine de chaussures Bata est repartie en République tchèque. Quant au village de Roybon lui-même, qui par le passé vivait de l’industrie textile, le pronostic vital est engagé. « La moitié de la population a plus de 50 ans, le nombre d’habitants a chuté de 1 500 à 1 300 ces dix dernières années, note le maire, Serge Perraud. La Poste et la gendarmerie menacent de fermer, l’école est sur le point de perdre une classe, les banques projettent de retirer le dernier distributeur. L’EPHAD (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr) est devenu le seul employeur du village : c’est l’exode. »

Les chiffres du ministère de l’Economie assombrissent encore le tableau : entre 2000 et 2012, la dette de la commune a explosé, passant de 599 à à 5 200 euros par habitant. Dans ces circonstances, les 900 000 euros de taxe de séjour annuelle que pourrait rapporter le complexe touristique sont plus que bienvenues. « Quand vous dites aux gens qui ont soif : “on va vous donner de l’eau”, ils ne s’interrogent pas sur la couleur de l’eau », lâche Myriam Laïdouni-Denis, porte-parole du groupe Europe Ecologie - Les Verts (EELV) en Isère.

Etape 2 : promettre des emplois…

« Ce type de projet crée des emplois non délocalisables, ça ne se refuse pas », confirme Denis Brunellière, conseiller pour les équipements touristiques au conseil général de la Vienne. Dans le département, les 600 postes à pourvoir ne sont pas passés inaperçus. « Avant même l’ouverture des recrutements, on avait reçu 2 500 candidatures spontanées », souligne Loïc Pageot, responsable Pôle emploi chargé du recrutement pour Center Parcs. Ce besoin criant d’activité était le même en 2010, lors de l’implantation du Center Parcs de Moselle. Sur les 600 salariés embauchés, 59% étaient auparavant au chômage et 11% bénéficiaient du revenu de solidarité active (RSA), selon l’Insee. Dans la Vienne, comme en Moselle, Center Parcs deviendra finalement le premier employeur du bassin d’activité.

« De l’emploi oui, mais quel emploi ? », s’interroge Myriam Laïdouni-Denis. A l’Insee, Philippe Debard confirme ses craintes :« Center Parcs, ce sont des petits salaires et des petits horaires ». Parmi les salariés du Center Parcs de Moselle, « 60% touchent le smic horaire, dont près de la moitié seulement 319 euros par mois, du fait d’un contrat de travail hebdomadaire de neuf heures, en tant qu’agent technique de nettoyage », lit-on dans son étude. Ainsi, les 697 emplois promis par Center Parcs en Isère tombent à 468 une fois convertis en équivalents temps plein. « Ce sont des postes en pointillés, qui impliquent beaucoup de trajets », souligne Myriam Laïdouni-Denis. « Il y a des gens à qui cette organisation convient très bien, rétorque Christian Pichoud, défenseur du projet au sein du conseil général de l’Isère. Et contrairement aux stations de ski, ce sont des emplois à l’année, il n’y a pas de lits froids. » Son dernier argument : la taille du groupe, qui « implique la présence de représentants du personnel et constitue une garantie sur les conditions de travail ». Un optimisme qui résiste mal à l’examen des Center Parcs existants. En Moselle, l’Insee a relevé un turnover de 30% chez les employés, tandis que, ces dernières années, la vie du Center Parcs de l’Aisne a été émaillée par des conflit sociaux, les salariés dénonçant en 2012 « de graves problèmes de salaires et de conditions de travail », selon les mots de la CGT. Ce bilan sévère mérite tout de même quelques nuances. Les salariés de Center Parcs bénéficient d’un treizième mois et d’embauches pérennes. « A Roybon, 80% seront en CDI », souligne Jean-Michel Klotz, de Pierre et Vacances.

… et des retombées économiques

« Au-delà des emplois directs créés sur le chantier, puis sur le site, l’implantation d’un Center Parcs entraîne, pour nos territoires ruraux, de fortes retombées économiques », poursuit Denis Brunellière, au conseil général de la Vienne. « Les offices du tourisme et les commerçants se réjouissent de voir les vacanciers arriver par milliers », note Joël Pageot, à Pôle emploi. Seul bémol, Pierre et Vacances promet des séjours passés à buller plutôt qu’à vadrouiller. « Le système incite à vivre en vase clos », résume Philippe Debard, de l’Insee. Une étude réalisée par le groupe en 2012 auprès des vacanciers du domaine de Laon, dans l’Aisne, confirme : 76% d’entre eux n’envisagent pas d’escapades hors du site. « On observe clairement une tendance chez les consommateurs à préférer l’expérience simulée, vécue dans un contexte de plus en plus spectaculaire et extravagant, à la réalité », note Antonnella Caru, chercheuse en marketing dans un article paru dans La revue française de gestion. Une analyse contredite par Center Parcs. « Comme les séjours s’allongent, les gens passent plus facilement une journée à l’extérieur », assure Jean-Michel Klotz.« Même si les sorties ne concernent que 10% des visiteurs, 10% sur 300 000, c’est toujours ça de pris, rétorque le maire de Roybon. Ça pourra aider le jeune boucher qui vient de s’installer à tenir sur la durée. » Le commerçant ne pourra miser que sur ces quelques vacanciers échappés. Pour nourrir, sur place, ses milliers de résidents, Pierre et Vacances fait appel à Eléor, l’un des leaders mondiaux de la restauration collective.

Malgré ces occasions manquées, l’impact sur le territoire n’est pas nul. En Lorraine, l’Insee dénombre « une trentaine d’emplois générés par l’activité du domaine, et plus de 90 emplois par la consommation de ses salariés ». Dans le Jura, certains regardent ces promesses de dynamisme d’un œil inquiet : « Si les gens viennent s’installer ici, c’est pour être tranquilles, estime Véronique Guislain, présidente du collectif de vigilance citoyenne Le pic noir. Une ville qui se crée du jour au lendemain et 2 000 personnes qui arrivent et repartent en voiture chaque semaine, c’est un sacré bouleversement dans un milieu rural paisible. Parce que, ici, 2 000 habitants, c’est une ville », précise-t-elle dans un rire franc.

Etape 3 : se faire désirer

Tandis que ses projets se concrétisent dans l’est, Pierre et Vacances prospecte dans le Lot-et-Garonne. « Pour faire en sorte que les Toulousains et les Bordelais puissent profiter du concept », explique Jean-Michel Klotz. Entre les communes des Landes, de Gascogne et celles du Val-d’Albert, semaine après semaine, la presse locale relaie les appels du pied des élus et les hésitations du promoteur. La Saône-et Loire et le Jura ont connu cette phase de suspens. « Que le meilleur gagne », lançait en 2012 Rémi Chaintron, président du conseil général de Saône-et-Loire, à l’époque convaincu que le groupe trancherait entre les deux projets. Finalement, les deux ont été retenus. A la région Rhône-Alpes, on parle même, sous couvert d’anonymat, de « chantage à l’implantation et à la création d’emplois », avant de nuancer : « c’est un cas classique de mise en concurrence territoriale : si le Center Parcs ne trouve pas son compte ici, il ira s’implanter ailleurs ».

Etape 4 : faire financer les infrastructures par les partenariats public-privé

Pour décrocher la timbale, les élus sont donc prêts à débourser. D’un territoire à l’autre, leur soutien prend des formes variées. Dans la Vienne, les collectivités se sont laissé tenter par le partenariat public-privé. « Le complexe touristique passe par une Société d’économie mixte (SEM), qui réunit l’ensemble des collectivités », explique Denis Brunellière. Dans un premier temps, chacun verse son obole : 19,3 millions pour le département, 13 pour la région Poitou-Charentes et 1 million pour la communauté de communes. A cela s’ajoutent 15 millions de subventions versées directement par l’Etat. Une fois cette somme rassemblée, les collectivités peuvent lever des fonds auprès d’investisseurs publics ou privés, comme le Crédit agricole ou la Caisse des dépôts et consignations. Finalement, les 138 millions d’euros de coût d’infrastructures seront pris en charge par la SEM, dans laquelle Pierre et Vacances n’a pas mis un sou.

En Isère, le montage financier diffère. Le département se porte directement acquéreur, pour 7 millions d’euros, des parties communes du futur complexe. De son côté, la région Rhône-Alpes a décidé de verser, en 2009, une subvention du même montant, au titre du soutien à l’emploi et au développement durable. « Dans le cas où le projet se poursuit, c’est grâce à cet investissement que les cottages pourront être certifiés HQE, haute qualité environnementale » explique-t-on au sein du conseil régional. De son côté, le syndicat des eaux investit gros pour construire une nouvelle station d’épuration – « dimensionnée selon les besoins de Center Parcs », selon Christian Pichoud – et pour rénover le réseau d’eau existant. « On en avait bien besoin, on avait 70% de déperdition », se justifie Serge Perraud, le maire de Roybon. A l’image des autres collectivités, la commune se plie en quatre pour accueillir Center Parcs. Pour les besoins du projet, le plan local d’urbanisme a été révisé et le terrain sera vendu 30 centimes le mètre carré, contre 18 euros pour les particuliers. « Ce terrain n’aurait de toute façon rien rapporté, se justifie Serge Perraud. Là, on gagne 600 000 euros, ce n’est pas rien. Et on considère que ce prix attractif est un investissement. » De son côté, Center Parcs revendra ses cottages plus de 3 000 euros le mètre carré.

Etape 5 : faire financer les cottages à grand renfort de niches fiscales

On touche alors la deuxième astuce du groupe. Center Parcs ne finance pas lui-même ses résidences hybrides, à mi-chemin entre le bungalow et le chalet. « On vend des hébergements à des investisseurs privés, institutionnels ou particuliers », explique Jean-Marie Klotz. Cette trouvaille née dans les années 1970 et baptisée « nouvelle propriété » est l’idée phare de Gérard Brémond, l’inoxydable pédégé de Pierre et Vacances. Un système qui a, lui aussi, largement bénéficié de la générosité des pouvoirs publics. Le principe ? L’acquéreur du cottage signe un bail pour neuf ans pendant lesquels Pierre et Vacances gère le bien et lui reverse un loyer. Pendant toute cette période, le propriétaire bénéfice d’attractives réductions d’impôts, la niche dite « Censi-Bouvard ». Mis en avant sur le site du groupe, ce dispositif permet au propriétaire de se voir exonérer jusqu’à 3 666 euros d’impôts par an pendant neuf ans tout en récupérant la TVA de son investissement. « Pour les EPHAD, ces déductions d’impôts ont une justification sociale », estime Jean-Marie Chosson, élu EELV à la région Rhône-Alpes. « Mais les plus gros bénéficiaires sont les mastodontes du tourisme. » Fortement contesté par quelques députés, le dispositif devait arriver à échéance en 2012 et disparaître alors de sa belle mort.

C’était sans compter l’influence de Gérard Brémond. Le 30 octobre 2012, l’homme d’affaires était reçu dans le bureau de Jérôme Cahuzac (voir l’agenda de ce dernier ). Le 14 novembre, celui qui était alors ministre délégué au Budget présente, devant l’Assemblée, un amendement prolongeant le dispositif Censi-Bouvard. Le texte est adopté dans la foulée. En matière de lobbying, le pédégé de Pierre et Vacances n’en serait pas à son coup d’essai. Selon le journal Les Echos qui, en 2007, dressait son portrait, certains textes sont surnommés « les amendements Brémond » dans les couloirs de l’Assemblée.

Pourtant, les vents jusqu’ici favorables à Pierre et vacances pourraient tourner. En 2012, le montant d’abattement fiscal du dispositif Censi-Bouvard est passé de 25% à 11% de la valeur du bien. « La dynamique fiscale est moins forte, reconnaît Jean-Michel Klotz, le modèle va évoluer. » Dans les Center Parcs en projet, comme ceux de la Vienne et de l’Isère, les investisseurs institutionnels, non concernés par la niche fiscale, achètent plus de cottages que les particuliers. Parmi eux, des mutuelles, des banques et la Caisse des dépôts et des consignations. « C’est encore pire que des niches fiscales, c’est un établissement public qui verse directement de l’argent à Center Parcs, s’emporte Stéphane Peron, ancien conseiller fiscal qui a pris la tête de l’opposition au Center Parcs de Roybon. La CDC est censée utiliser l’épargne des Français, notamment le livret A, pour financer des projets d’intérêt général, comme le logement social. Là, elle sert clairement un intérêt privé. »

Niches fiscales, investissements institutionnels, subventions et participations directes des collectivités, agacent profondément Jean-Marie Chosson. « Avec tout cet argent, on pourrait soutenir l’artisanat, les Scop, renforcer des circuits courts, développer un écotourisme mieux réparti sur le territoire et mettre en avant les atouts de la région », souligne l’élu. Sur cette dernière mission, Pierre et Vacances répond présent. « Les tenants du projet disent qu’il est représentatif de l’identité jurassienne, souligne Véronique Guislain, à Poligny. Avec une bulle tropicale à 29°C ? Je reste perplexe… »